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Accidentologie vélo : mise en perspective des données

Les données provisoires de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière (ONISR) 2023 montrent une diminution des accidents mortels à vélo pour l’année écoulée (19 tués de moins qu’en 2022). Simultanément, la pratique du vélo poursuit sa croissance comme le montre le dernier bulletin de fréquentation vélo en France 2023 de Vélo & Territoires (+5 % par rapport à 2022). Les accidents collectés par l’ONISR ne prennent en compte qu’une partie des accidents à vélo, à savoir les cyclistes tués ou gravement blessés. De la même manière, les chiffres de fréquentation vélo ne reflètent qu’une fraction du trafic réel. Dès lors, est-il possible de dresser un tableau complet de la sécurité des cyclistes avec les données existantes et si oui, comment ? Vélo & Territoires entreprend une première tentative pour offrir aux collectivités un outil facilitant l’orientation et la priorisation de leurs actions, visant à renforcer la sécurité des cyclistes.

Quelques faits sur la fréquentation et l’accidentologie vélo en France

La fréquentation vélo en France a connu une augmentation notable au cours des dernières années, une tendance particulièrement marquée pendant et après la période de la COVID-19. Les données, issues des compteurs automatiques partagés avec la Plateforme nationale des fréquentations (PNF), montrent une hausse globale de 75 % du trafic vélo entre 2013 et 2022, de 18 % entre 2019 et 2021 et de 13 % entre 2021 et 2022. L’évolution par territoire est plus hétérogène pour la dernière décennie : + 89 % en milieu urbain, +56 % en milieu périurbain et +46 % dans le rural. Si ces chiffres ne reflètent pas avec certitude un accroissement du nombre de cyclistes, ils témoignent d’une croissance soutenue des déplacements effectués à vélo en France.

Intuitivement, on pense que l’essor de la pratique entraînera mécaniquement un risque accru d’accidents. Plusieurs études étrangères¹ démontrent cependant le phénomène de la « sécurité par le nombre », une approche qui n’est pas encore confirmée par des études en France. Selon ce principe, une présence accrue de cyclistes sur les routes conduit les autres usagers à mieux les prendre en compte et à adapter leur comportement en conséquence, réduisant ainsi les risques d’accidents. Les études et rapports disponibles se concentrent en effet davantage sur des statistiques générales de la sécurité routière des cyclistes, à l’instar de celles fournies par l’ONISR.

En considérant l’année 2019 comme point de référence pré-pandémique, des tendances pour la fréquentation moyenne et l’accidentologie vélo ont été calculées par Vélo & Territoires. Celles-ci révèlent que le trafic vélo et les accidents ne sont pas systématiquement alignés, voire divergent parfois.

Entre l’année de référence et l’avènement de la pandémie en 2020, une réduction modérée a été observée dans les indices d’accidentalité, avec respectivement -4 % et -5 % pour les décès et les blessés à vélo. Par comparaison, l’impact de la pandémie sur l’accidentalité voiture a été plus prononcé, engendrant une diminution de 23 % en 2020 en raison des fortes restrictions sur les déplacements mises en place pendant le confinement. Avec l’allègement des restrictions sanitaires en 2021, l’accidentalité vélo connait une recrudescence : +21 % de décès et +10 % de blessés par rapport à 2019. Cette augmentation se poursuit en 2022 avec +10 % de tués par rapport à 2021 et +31 % par rapport à 2019. Concernant les blessés, une baisse de 3 % est observée par rapport à 2021, mais leur nombre reste supérieur de 7 % à celui de 2019.

Quant à la fréquentation vélo, la tendance est particulièrement à la hausse entre 2020 et 2021 (+20 %), illustration d’une période durant laquelle l’usage du vélo a été encouragé par les autorités publiques face aux défis de la crise sanitaire au travers de différents dispositifs. Cette variabilité invite à une analyse plus approfondie. Des statistiques détaillées, comme celles présentées lors des 27es Rencontres Vélo & Territoires² par Manuelle Salathé, secrétaire générale de l’ONISR, mettent en lumière des aspects spécifiques de l’accidentologie vélo.

Concernant la mortalité routière à vélo, 245 cyclistes (dont 43 à vélo à assistance électrique – VAE) ont été tués sur les routes en 2022. Ceci représente une augmentation de 31 % par rapport à 2019, soit 58 cyclistes de plus. Sur cette période, la fréquentation moyenne vélo a également enregistré une hausse significative, avec une augmentation de 44 % par rapport à 2019, ce qui correspond à 175 passages supplémentaires par jour et par compteur.³

La mortalité cycliste a, aujourd’hui, un profil clair : 9 victimes sur 10 sont des hommes. 82 %4 des victimes circulaient pour leurs loisirs et 70 % ont 55 ans ou plus. Depuis 2019, le nombre de décès chez les usagers de VAE dans cette tranche d’âge a quasiment triplé, passant de 13 à 33, accentuant leur surreprésentation. En 2022, les hommes de plus de 55 ans représentent 48 % des cyclistes tués. Une part en augmentation depuis 2019 (42 % en 2019, 44 % en 2021), alors que cette tranche d’âge ne représente que 21 % de la population française5 par ailleurs.

Sécurité des cyclistes : un enjeu prioritaire hors agglomération

Deux tiers des décès dans des accidents de la route en France métropolitaine, tous modes de déplacement confondus, surviennent dans les EPCI de moins de 100 000 habitants. Près de la moitié de la population française vit dans ces territoires où le risque de décès dans un accident de la route est deux fois plus élevé qu’ailleurs. Les modes de déplacement motorisés sont les plus impliqués dans des accidents mortels, notamment les voitures et les motos. Les accidents de voiture représentent 45 % à 58 % des décès hors agglomération. La prédominance de la voiture dans les statistiques d’accidentologie n’est pas étonnante. Elle s’explique par le fait que le parc de voitures en circulation est deux fois plus important6 que le nombre de vélos recensés7. En janvier 2022, on comptait 38,7 millions de voitures en circulation, face à 16,6 millions de vélos en France. La voiture est en outre le mode de transport privilégié par 74 % des actifs pour les trajets domicile-travail, y compris sur des courtes distances selon les analyses de l’INSEE8 en 2021.

En 2022, les décès à vélo hors agglomération se présentent de la manière suivante : 10 décès sur le territoire des métropoles, 20 sur le territoire des EPCI de plus de 100 000 habitants et 105 sur le territoire des EPCI de moins de 100 000 habitants. Globalement, le vélo représente entre 6 % et 8 % du total des accidents mortels hors agglomération.

Face à ces chiffres, il est évident que la sécurité des cyclistes est un enjeu prioritaire hors agglomération. La tendance croissante des accidents mortels à vélo, en dépit d’une baisse des accidents en voiture, souligne le besoin urgent d’actions ciblées. Cela passe par la réalisation d’infrastructures sécurisées pour les cyclistes, l’instauration de zones à faible vitesse dans les secteurs les plus fréquentés, l’amélioration de l’éducation routière, ainsi que l’adoption de technologies avancées comme les avertisseurs de collision pour les vélos9. La Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB) recommande de travailler sur le plan de circulation10 pour sécuriser les trajets à vélo dans les territoires ruraux. Cette approche permet de redonner de la place aux usagers du vélo sur les routes et de canaliser le trafic motorisé sur des axes dédiés.

Le fichier BAAC11 et ses limites

Le bilan de la sécurité routière de l’ONISR repose essentiellement sur les données extraites du fichier BAAC. Ce fichier rassemble les accidents corporels de la circulation saisis par les forces de l’ordre lors de leurs interventions12 ce qui est très limitant. En ne recensant que les accidents ayant nécessité une telle intervention, les accidents légers échappent à cette documentation. Cette lacune dans la collecte des données conduit à sous-estimer des accidents légers, spécialement en ce qui concerne les cyclistes.

En collaboration avec l’Université Gustave Eiffel (UGE), l’ONISR réalise une estimation nationale du nombre de blessés, en croisant les données du Registre du Rhône13 et celles du BAAC. Cette démarche permet à l’ONISR de mesurer la représentativité du fichier BAAC par rapport à l’accidentologie réelle et d’estimer le nombre total d’accidents pour les différentes catégories. Selon les estimations, le sous-enregistrement n’est pas homogène entre les modes de déplacement, la gravité des accidents, la tranche d’âge ou le type de force de l’ordre qui intervient. Ainsi, le fichier BAAC enregistre huit fois moins d’accidents à vélo que ne l’estime l’UGE.

Toutefois, les informations contenues dans le fichier BAAC se révèlent précieuses pour évaluer la sécurité routière des cyclistes. Avec des données récoltées à la fois par la police nationale dans les zones urbaines et les grandes agglomérations, et par la gendarmerie nationale dans les zones rurales et périurbaines, le fichier BAAC capte les spécificités de chaque cadre d’intervention. Les forces de l’ordre font face à des configurations d’accidents très hétérogènes entre les milieux urbains et ruraux. Ainsi, malgré la réalité du sous-enregistrement, les accidents répertoriés en milieu urbain par la police nationale, tous types de gravité confondus, offrent un échantillon de travail raisonnable.

Insécurité constatée versus sentiment d’insécurité

En 2022, la FUB a publié les résultats de la troisième édition du Baromètre des villes cyclables14. Cette enquête nationale auprès des usagers permet d’observer les zones perçues comme dangereuses par les cyclistes, dits « points noirs ». En les rapprochant des accidents du fichier BAAC entre 2019 et 2022 et des chiffres de fréquentation de la PNF 2022, une exploration cartographique15 a été réalisée par Vélo & Territoires. Six grandes villes ont été sélectionnées pour leur couverture suffisante en termes de données permettant d’y identifier les zones à enjeu pour la sécurité des cyclistes. En proposant une hiérarchie entre les zones perçues comme étant accidentogènes mais ne l’étant pas (en bleu clair) et celles à la fois ressenties comme non sécuritaires et enregistrant un fort taux d’accidents (en noir), cette visualisation guide les collectivités dans la priorisation des actions à mener pour rendre la mobilité à vélo plus attractive et améliorer la sécurité des cyclistes.

Des initiatives à l’instar de celle du Registre du Rhône et de la collaboration entre l’ONISR et l‘UGE illustrent la force des démarches collaboratives. En améliorant la qualité et la collecte des données, il est possible d’étendre les analyses au-delà de la mortalité cycliste, fournissant ainsi des informations précieuses pour réaliser des aménagements sécurisés, optimiser le réseau existant, affiner les programmes de formation et cibler plus efficacement les campagnes de sensibilisation. Vélo & Territoires encourage les collectivités à inscrire une vision systémique « zéro tué, zéro blessé grave » dans leurs politiques modes actifs pour diminuer durablement l’accidentologie cycliste. En poursuivant dans cette voie nous pourrons collectivement aspirer à un avenir où les accidents à vélo deviennent une rareté, reflétant une cohabitation routière harmonieuse et respectueuse de chaque usager.

Carolina Borré


¹ Nous vous recommandons de lire par exemple : A. Fyhri, H.B Sundfør, T. Bjørnskau, A. Laureshyn, “Safety in numbers for cyclists—conclusions from a multidisciplinary study of seasonal change in interplay and conflicts», Accident Analysis & Prevention, Volume 105, 2017, Pages 124-133

² A retrouver dans https://www.velo-territoires.org/ressources/categorie/rencontres/ (réservé aux adhérents)

³ Partagé avec la PNF

4 Lorsque le déplacement est renseigné

5 Pour une lecture approfondie, nous vous recommandons le bilan 2022 de la sécurité routière

6 https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/387-millions-de-voitures-en-circulation-en-france-au-1er-janvier-2022

7 https://www.notre-environnement.gouv.fr/actualites/breves/article/combien-de-velos-les-francais-possedent-ils-et-pour-quoi-faire

8 https://www.insee.fr/fr/statistiques/5013868

9 Pour approfondir, nous vous recommandons l’article « La sécurité des cyclistes, un enjeu prioritaire hors agglomération » publié dans Vélo & Territoires, la revue n°73.

10 https://www.fub.fr/fub/actualites/assurer-securite-cyclistes-milieu-rural-fub-publie-ses-recommandations

11 Bases de données annuelles des accidents corporels de la circulation routière

12 Pour plus d’informations consultez la page officielle de l’ONISR

13 Le Registre du Rhône des victimes d’accidents de la circulation routière réalise, depuis 1995, un enregistrement continu et le plus exhaustif possible des victimes en milieu médical. L’ensemble des services de secours et de soins prenant en charge les victimes participent au recueil des données. (https://www.revarrhone.org/)

14 Retrouvez le baromètre ici

15 L’ONISR propose une cartographie des accidents à l’échelle de la France entière pour différentes années à apprécier dans https://www.onisr.securite-routiere.gouv.fr/cartographie-des-accidents-metropole-dom-tom


La Plateforme nationale des fréquentations est soutenue par Eco-Compteur et financée par l’Ademe et le ministère chargé des Transports. 

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