Les départements, ingénieurs en chef d’un réseau 100 % cyclable
Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°62
La Loi d’orientation des mobilités (LOM) renforce le rôle des intercommunalités dans le développement du vélo sur les territoires. Mais comment garantir une cohérence d’ensemble ? Comment limiter les inégalités entre les collectivités locales et encourager la pratique du vélo en milieu rural ? Comment assurer la continuité des aménagements, des équipements, de l’entretien et de la signalisation ? Si, de l’échelle nationale à l‘échelle communale, chacun a un rôle à jouer dans le développement du vélo, le département est un bon échelon pour orchestrer les schémas locaux et garantir un maillage cyclable dense, cohérent et de qualité. L’occasion de se porter garant d’une solidarité territoriale, vocation départementale réaffirmée par la loi NOTRe en 2015.
Le vélo, une considération inégale dans les territoires
Certaines collectivités locales font du vélo une priorité. D’autres peinent à lui donner une place de
choix. En cause ? Un capital culturel, économique et structurel inégal. Culturel, car développer le vélo nécessite de connaître les enjeux, les bénéfices et les bonnes pratiques d’une politique cyclable locale. Économique, car les budgets ne sont pas toujours suffisants pour financer les projets vélo et notamment les infrastructures cyclables. Structurel enfin, car les collectivités locales manquent globalement de ressources humaines dédiées au vélo et de compétences utiles à son développement comme la voirie et la mobilité qui ne sont pas toujours présentes sauf dans les métropoles et communautés urbaines qui les intègrent systématiquement. Ces difficultés sont particulièrement avérées dans les petites collectivités, qui disposent des moyens dédiés au vélo les plus faibles : 0,5 ETP (équivalent temps plein) pour les EPCI de moins de 20 000 habitants contre 0,8 ETP pour l’ensemble des EPCI en 2019. Autre donnée notable : seules 40 % des petites intercommunalités disposent d’une stratégie de planification vélo, contre 56 % pour les EPCI en général.* Des lacunes que les départements peuvent aider à combler dans le cadre de leur compétence Solidarité et de leurs actions en faveur du développement des aménagements et des pratiques cyclables.
Les départements institutionnalisent l’accompagnement des collectivités locales
Forts de leur compétence voirie en particulier, les services départementaux maîtrisent les étapes
nécessaires à la réalisation d’aménagements cyclables : recherche de subventions, études de faisabilité technique, administrative et réglementaire, création de cahiers des charges et suivi des
prestataires. Ils encouragent aussi la pratique du vélo auprès de leurs publics cibles, des collégiens
notamment, et plus généralement des personnes dépendantes à l’automobile dans les milieux périurbains et ruraux, dans le cadre de leurs compétences en éducation et action sociale. Le département de l’Aude par exemple prête des vélos aux jeunes de 18 à 25 ans en recherche d’emploi ou de formation au sein de la mission locale d’insertion départementale rurale. Comme le suggère la loi NOTRe, les compétences départementales gagneraient à être mises systématiquement à disposition des collectivités locales, notamment celles situées en milieu rural, pour les aider à développer le vélo. Si la plupart des départements les aident déjà en leur apportant conseils, guides et chartes, l’ingénierie départementale vélo peu constituer un axe stratégique en tant que tel, inscrit dans les documents de planification du vélo et organisé au sein des services. L’appui financier à l’attention des collectivités locales augmente aussi, à l’instar du département de la Haute-Savoie qui, depuis 2017, propose trois aides financières pour les aménagements cyclables sous maîtrise d’ouvrage communale et intercommunale. Ces aides flèchent le développement des itinéraires inscrits au Schéma départemental, ceux d’intérêt communal et les itinéraires cyclables aux abords des collèges. Pour que les aides soient les plus efficaces possible à l’échelle du territoire, les départements développent en parallèle des actions de coordination qui visent à intégrer les aménagements cyclables dans un réseau global, harmoniser la signalisation directionnelle et touristique, encourager la création de services à l’attention des cyclistes et partager les bonnes pratiques liées à l’entretien des aménagements et des équipements… Cette coordination requiert une animation auprès des EPCI et communes les moins engagés sur le vélo, ceux qui ne sollicitent pas souvent les aides proposées. Pour inverser la tendance, il faut faire infuser la culture vélo, motiver et susciter le passage à l’action. Un rôle de « VRP du vélo » selon Antoine Guérin, chef de projet Circulation douce au conseil départemental du Calvados.
Des stratégies variées
À chaque département sa stratégie et ses modalités d’intervention. Inciter, aider à la maîtrise d’ouvrage et financer des projets suppose de donner un cap, de guider et de diffuser la culture vélo. Illustrations.
Le guichet unique Ardennes Ingénierie
Le Schéma vélo des Ardennes en cours de définition est un véritable outil de programmation des aménagements cyclables et de valorisation touristique des itinéraires. Sa vocation ? Accompagner les maîtres d’ouvrage dans la réalisation de leurs projets. Pour cela, il s’appuie sur un club voie verte qui rassemble les acteurs institutionnels et les partenaires du Département. “À terme, il doit garantir la mise en œuvre d’un maillage suffisamment dense et la définition d’un plan d’actions permettant à chaque maître d’ouvrage d’agir à son niveau et en cohérence avec les autres collectivités“, explique Arnaud Gonda, directeur Développement touristique au sein du Conseil départemental. La signalisation et l’entretien des aménagements font partie des thématiques abordées. “Un des axes de notre Schéma vélo porte sur l’animation et la mise en place d’une dynamique autour des itinéraires, des services et des équipements”, explique Ludivine Noel, chargée de projet touristique et patrimoine naturel. Depuis 2020, le guichet unique Ardennes Ingénierie accompagne les EPCI et les communes dans le cadre de leurs projets et de leurs compétences au quotidien, dont le vélo. Lorsqu’une collectivité locale sollicite le Département sur un aménagement cyclable, quel qu’il soit, le projet est étudié de manière globale (voirie, urbanisme, aménagement paysager et environnement). Le Département commence par interroger les besoins à l’origine du projet, puis en étudie la faisabilité technique, financière et administrative avant de passer en phase de conception. Si besoin, il aide les collectivités locales à recruter des prestataires. Via des contrats de territoires, le Conseil départemental apporte aussi un soutien aux EPCI et communes. Les projets d’aménagement et d’équipement cyclables peuvent ainsi être soutenus dans la limite de 30 % du coût hors taxe.
Le règlement d’aides dans l’Aude
Le Schéma départemental vélo 2018-2022 de l’Aude propose pour la première fois un appui technique et financier à l’attention des EPCI et des communes pour des projets cyclables utilitaires
et touristiques. Le Département a mis en place un règlement d’aides pour encadrer cette démarche. Ainsi, les projets situés sur un itinéraire inscrit au Schéma départemental sont soutenus
à 30 % avec un plafond de 30 000 euros/km ; ceux qui rejoignent un itinéraire inscrit au Schéma
départemental à 40 % avec un plafond de 40 000 euros/km et dans la limite de dix kilomètres par
an. “Auparavant les collectivités locales ne pouvaient recevoir de financement que pour les aménagements en agglomération et sur voiries communales”, explique Pascal Roca, en charge des Voies vertes au sein du Conseil départemental. Le règlement d’aides permet de contourner ce problème et de financer des projets cyclables dans d’autres EPCI et sur d’autres types de voiries. Le Département finance aussi les études préalables à hauteur de 30 % avec un plafond de 10 000 euros et le matériel de comptage à hauteur de 50 % et dans la limite de deux appareils par itinéraire inscrit au Schéma départemental. En 2020, 500 000 euros ont ainsi été consacrés aux projets cyclables des collectivités locales de l’Aude. En plus de ces subventions, le Département aide les collectivités locales qui veulent développer des aménagements cyclables sur le plan technique, administratif et financier à travers l’agence technique départementale créée en 2014.
Le pôle Ingénierie vélo du Calvados
Le plan “Calvados Destination Vélo 2025“ vise à renforcer le maillage vélo à l’échelle départementale et à créer de la complémentarité entre des itinéraires à usage quotidien et touristique. Le Département consacre quatre millions d’euros chaque année à sa politique cyclable, dont une partie sert à financer des projets vélo portés par des collectivités locales, aménagements et équipements compris. “Les contrats de territoires nous permettent de financer à 40 % et même plus s’il y a un schéma directeur dans le territoire“, explique Michel Fricout, vice-président du Conseil départemental. Il y a une “difficulté à convaincre les collectivités locales d’investir dans le vélo“, témoigne Antoine Guérin. “Encore plus lorsqu’il s’agit des services vélo (arceaux, toilettes, aires d’accueil)“. Dans le cadre des contrats de territoires, les projets vélo entrent en concurrence avec d’autres projets considérés prioritaires. Lauréat du programme AVELO de l’Ademe, le département du Calvados bénéficie du financement d’un ETP dédié à l’ingénierie vélo pour une durée de trois ans. La ressource est intégrée au service Environnement
du Département, dans le pôle Ingénierie vélo. Les collectivités locales accompagnées bénéficient
de son expertise technique et financière.
L’appel à projets des Vosges
Le Schéma départemental cyclable 2019-2022 du département des Vosges entend résorber les discontinuités des itinéraires cyclables identifiées lors d’un diagnostic approfondi en 2015 et favoriser la pratique du tourisme à vélo. “Notre comité de pilotage réunit les collectivités territoriales et les offices de tourisme les plus avancés sur la stratégie vélo, les associations sportives et d’usagers et les pôles d’équilibre territorial et rural (PETR)“, explique Christophe Cardot, chargé de mission Vélo et activités de pleine nature au Conseil départemental. L’objectif ? « Fédérer et donner une envergure plus grande au réseau cyclable“. Depuis 2020, le Département finance aussi des projets d’aménagements cyclables portés par des EPCI à travers l’appel à projets “Itinéraires cyclables : création et valorisation”. Le but est d’inciter à la création d’aménagements cyclables pour tendre vers un maillage cyclable continu sur tout le territoire départemental. Sept projets ont été retenus en 2020 pour un montant de 270 000 euros au total. Un deuxième appel à projets d’un montant de 500 000 euros est à venir en 2021. En complément le Département dispose d’un budget de 50 000 euros en 2021 pour étudier le chiffrage d’aménagements cyclables recensés comme prioritaires dans le Schéma départemental. Ces études visent à faciliter le travail des EPCI en charge de leur réalisation.
Une politique départementale d’avenir
Ces dynamiques départementales vont de pair avec l’augmentation des moyens dédiés au vélo dans les départements. En 2019, on enregistrait en moyenne 2,7 ETP par département contre 1,7 en 2014. Côté finances, le budget vélo moyen par habitant est passé de 2,47 euros en 2014 à 3,75 euros en 2019, soit une augmentation de 37 %* .À l’heure de la crise sanitaire, l’accélération des pratiques cyclables et le renforcement des outils mis à disposition des collectivités locales invitent à aller encore plus loin. Les prochaines élections départementales et régionales seront l’occasion de débattre sérieusement du sujet vélo et de renforcer le rôle des départements en tant qu’accompagnants des collectivités locales. Objectif : 12 % de part modale vélo en 2030.
*Enquête Territoires 2019 de Vélo & Territoires
Julie Rieg