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Jérôme Zindy

Mai à vélo 2023 ©Nicolas Jahan

Il fut le chroniqueur officiel et itinérant de l’édition 2023 de Mai à vélo. À l’heure où il rempile pour l’édition 2024, retour sur le parcours singulier de Jérôme Zindy, qui nourrissait il y a quelques années encore une appétence certaine pour le transport… automobile.

Vous êtes venu au vélo en partant quasiment de la rive d’en face, jusqu’à devenir presque militant. Comment s’est opérée cette mutation ?

Je ne me définirais pas vraiment comme militant, même si j’ai beaucoup de respect pour ceux qui le sont car je pense qu’on a besoin de tout le monde. Pour ma part, j’ai effectivement rêvé de voitures toute mon enfance, à regarder l’émission Turbo le samedi sur M6 et à accompagner mon père au Salon de l’automobile de Genève. J’ai fait du vélo bien sûr, mais dès que j’ai été en âge d’avoir une voiture, j’en ai eu une et j’ai oublié le vélo. J’ai ensuite enchaîné avec des études de commerce, et ce n’est sans doute pas un hasard si j’ai travaillé pendant dix ans dans l’univers des rallyes automobiles… Et ça déteignait aussi sur ma vie personnelle : j’avais un SUV, je faisais de la moto, des aller-retours en avion le week-end…

Le réchauffement climatique, c’était quelque chose qui vous passait complètement au-dessus de la tête, à ce moment-là ?

Ce n’est pas tant que j’étais mal informé. J’étais juste insouciant, en fait. Je me construisais une place dans la société. Il était plus facile de se faire une raison que de tout changer.

Quand avez-vous commencé à remettre tout cela en cause ?

C’est venu petit à petit, à force de me documenter car je commençais à me sentir de plus en plus mal à l’aise. Si j’ai toujours fait autant de sorties dans la nature, c’est parce que j’aimais moins les sports mécaniques que la nature elle-même, en réalité. Et puis il y a eu cette randonnée en Auvergne, à l’été 2019. J’y allais pour me mettre au vert et j’ai réalisé à quel point tout, sur place, était en train de devenir sec. J’ai rencontré des éleveurs contraints de vendre une partie de leur bétail faute de production auto-fourragère suffisante, et j’ai découvert les villages ravitaillés en eau par des camions citernes. Pour la première fois, j’étais confronté au réchauffement climatique. Ça a été une véritable claque, d’autant que, derrière, la randonnée que j’avais programmée m’a laissé tout le loisir d’y repenser. À mon retour, les choses étaient claires : je ne pouvais ni ne voulais continuer comme ça, à promouvoir un modèle basé à 100 % sur les énergies fossiles et qui n’existe que pour le plaisir de quelques-uns.

Mai à vélo 2023 ©Nicolas Jahan

La bascule a-t-elle été immédiate ?

Il a d’abord fallu passer par six bons mois de franche éco-anxiété, pour être honnête. Tout m’apparaissait sous un jour différent, à commencer par ma consommation alimentaire qui n’avait jamais été regardante sur ce qui relevait de l’élevage intensif, par exemple. La remise en question était totale, vertigineuse. En janvier 2020, j’ai quitté mon poste dans le rallye raid et ai vendu ma maison pour aller vivre dans un van et réfléchir à tout ça. Les Japonais appellent ça l’ikigai, cette recherche intérieure sur la façon d’être alignés entre ce que l’on aime, ce dont le monde a besoin, ce pourquoi nous pouvons être payés et ce en quoi nous sommes doués. De là où je venais, et en fonction de mes capacités, le VAE – et bientôt le VAE solaire – m’est rapidement apparu comme le meilleur compromis pour faire mon travail de reporter en ayant le moins d’impact possible sur mon environnement.

Comment s’est mis en route ce Jérôme Zindy 2.0 ?

Mon premier projet de vélo-reporter remonte à juin 2020. Alors que ma précédente vie m’avait conduit au Maroc, au Brésil ou au Canada, j’ai décidé cette fois de privilégier le circuit court et de me fixer un rayon d’action maximal de 100 km autour de chez moi, à Avignon. J’ai embarqué avec moi un ami réalisateur, connu à l’époque des rallyes. Nous avons rencontré dix producteurs locaux et, au bout de deux jours, nous étions d’accord tous les deux : nous étions en train de vivre le plus beau voyage de notre vie. Ce constat était la preuve par A + B qu’il n’est pas indispensable de faire des milliers de kilomètres pour vivre une aventure forte. Il suffisait de ralentir, d’ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure et de s’ouvrir aux autres. Le vélo est un formidable outil pour cela.

Chaque rencontre est un voyage en soi, pour qui y est attentif…

Oui et c’est pourquoi j’ai assez vite enchaîné avec un autre projet autour de Strasbourg cette fois. Je me suis peu à peu rapproché de Mulhouse, dont je suis originaire et, de fil en aiguille, le vélo est devenu le premier outil de mon quotidien, de mes voyages, de mon sport comme de mes loisirs. C’est devenu une véritable philosophie de vie.

Mai à vélo 2023 ©Jérôme Zindy

Et c’est dans cet état d’esprit que vous êtes tombé sur le programme Mai à vélo…

Oui et j’en ai rapidement mesuré l’extraordinaire potentiel. Je suis convaincu qu’on emmène plus facilement les gens au changement quand on leur propose de nouveaux récits positifs. Et Mai à vélo propage dans toute la France cette formidable énergie vélo, faite de simplicité, de bonheur partagé et de liberté.

Quel bilan tirez-vous de votre implication sur l’édition 2023 ?

Avec Joëlle Lafitte, la déléguée générale de l’évènement, nous avions mis en place un programme qui combinait le vélo et le train au milieu des quelque 4 000 évènements programmés, afin de me permettre d’avoir du temps pour mener à bien mes montages vidéos quotidiens. J’ai parcouru en tout 7 000 km en train et 800 km à vélo. Cela représentait 21 étapes qui ont toutes été l’occasion de rencontrer des personnes et de creuser des angles différents. C’était une mission intense – pour 2024, je pars plutôt sur quinze étapes pour être moins contraint par le temps – mais tellement éclairante… J’en suis ressorti avec une conviction : qui veut changer le monde doit commencer par faire du vélo !

Au fil de ces déplacements, quels leviers vous apparaissent les plus importants aujourd’hui pour faire tache d’huile, justement ?

Déjà, d’une ville à l’autre, c’est souvent le jour et la nuit. Récemment j’ai traversé Grenoble du sud au nord en étant tout le long sur une piste cyclable sécurisée, sur 30 ou 40 km. C’est le rêve de tout cycliste, ça. Le jour où les infrastructures vélo seront du niveau des infrastructures automobiles, un grand palier sera franchi. Le vélo permet de croiser des personnes de tout âge et de tout métier, et chacun place le curseur où il l’entend. Pour certains l’important ce sera la sécurité, pour d’autres la santé, pour d’autres encore la sociabilité… Il y a des initiatives comme le clapping[1] que j’ai découvertes pendant Mai à vélo que j’ai ensuite cherché à importer dans l’agglomération de Mulhouse, où je suis investi auprès de la communauté vélo. Je crois beaucoup à ces passerelles et à ces synergies.

Mai à vélo 2023 ©Jérôme Zindy

Vous rempilez pour l’édition 2024, c’est une volonté commune ?

Oui ça s’est fait naturellement. C’est un vrai partenariat. Mai à vélo m’a permis de découvrir les acteurs du mouvement, mais aussi d’approfondir ma réflexion sur les multiples enjeux qu’il y a autour. Nous avons un demi-siècle d’imaginaire lié au tout-voiture à déconstruire. C’est colossal et chacun, du citoyen à l’élu en passant par les médias, doit s’en emparer. Un élu à vélo, c’est un levier fabuleux. Diffuser juste avant la météo sur les grandes chaînes nationales les petites capsules quotidiennes de deux minutes que j’ai livrées l’an passé lors de Mai à vélo, ce serait un coup d’accélérateur incroyable !

La communication est donc l’un des chantiers prioritaires, selon vous ?

La communication… et tout le reste ! L’infrastructure, déjà, reste vitale. Vous pouvez avoir toute la meilleure volonté du monde, une mère de famille qui accompagne ses enfants à vélo à l’école le matin sur une route nationale où elle se fait frôler par des 33 tonnes, chacun comprendra qu’elle sera moins enthousiaste la deuxième fois… Le dispositif Savoir Rouler à Vélo, la formation à l’entretien de son vélo – qui pourrait avantageusement remplacer les sorties karting lors des séminaires d’intégration des entreprises -, tout ceci participe de ce changement progressif de mentalité. Lors de la dernière Coupe du monde de rugby, les équipes nationales se déplaçaient en train d’une ville à l’autre. Niveau image, c’est parfait. Le jour où, par exemple, des personnalités du football comme Kylian Mbappé arriveront à vélo à l’entraînement, l’impact sera énorme pour propager encore davantage la pratique du vélo.

Propos recueillis par Anthony Diao

[1] « Un « clapping vélo ? » C’est un stand éphémère le long des pistes cyclables avec vélo-cargo et remorque pour se rencontrer et s’encourager entre vélotafeuses et vélotafeurs à la sortie du travail. Facile à mettre en place, c’est un moyen formidable d’être au contact des cyclistes, de booster la communauté et de faire connaître les services vélo du territoire.

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