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Petit tour au pays des ponts et passerelles cyclables

Pour les cyclistes, il n’est pas toujours facile de comprendre pourquoi certains cours d’eau ou routes ne sont pas aménagés pour les accueillir. Ils n’ont pas nécessairement en tête le travail de précision et de longue haleine requis par les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre et les entreprises qui financent, conçoivent et réalisent ces passerelles. Si ces dispositifs ne concernent qu’un faible linéaire des itinéraires cyclables, les franchissements cyclables concentrent une grande partie des réflexions, des travaux et des budgets. Ils nécessitent des études de préfiguration conséquentes, des arbitrages pour composer avec les ouvrages existants et la qualité des sols, savoir quel revêtement privilégier ou encore anticiper la fréquentation estimée pour les décennies à venir. Les exemples et les conseils n’ont pas manqué lors du webinaire sur les franchissements cyclables organisé par Vélo & Territoires en lien avec Indura, cluster dédié à l’innovation dans le génie civil en région Auvergne-Rhône-Alpes.

Des sommes conséquentes qui gonflent l’ardoise des collectivités

Face au développement des itinéraires cyclables et à l’augmentation de leur fréquentation, les franchissements cyclables sont de plus en plus attendus. Ils s’inscrivent de fait dans les budgets des collectivités aux côtés des ouvrages d’art plus classiques, notamment routiers. De 155 000 euros pour la passerelle de Saint-Efflam dans les Côtes d’Armor à 10 millions d’euros pour le franchissement du pont de Gambsheim dans la collectivité européenne d’Alsace, le coût pour adapter des ouvrages d’art existants ou créer des passerelles modes doux ex nihilo est relativement élevé. Ces sommes gonflent les budgets liés à l’aménagement des itinéraires cyclables.

Peut-on pour autant faire sans ? “Si l’on ne passait pas par ces ouvrages, le détour passerait par des routes départementales très fréquentées qui nécessitent une mise en sécurité de l’itinéraire et donc un coût très conséquent aussi”, explique Eric Ravenet, responsable de l’unité Randonnée et paysages au département des Côtes d’Armor. Le Département a lancé en 2008 un projet visant à réaménager huit ouvrages d’art ferroviaires construits au début du 20e siècle, dont certains monuments historiques, pour y faire passer La Vélomaritime. Cette décision a permis de (re)valoriser le patrimoine du territoire et d’offrir aux cyclistes un cadre paysager agréable. Les passerelles modes doux sont facteurs d’attractivité comme le démontrent le Millenium bridge à Londres, le pont Raymond Barre à Lyon ou la passerelle Slake bridge à Copenhague.

Viaduc de Douvenant – Saint-Brieuc – Langueux ©Eric Ravenet

Une équation technique et financière à résoudre au moment de la conception

Construire une passerelle cyclable ou aménager un ouvrage existant suppose de résoudre une équation technique et financière. Sur la base de leurs expériences et d’inspirations venues parfois de l’étranger, les concepteurs cherchent des solutions techniques sur-mesure, adaptées au terrain, qui assurent la sécurité des cyclistes et s’avèrent les moins coûteuses possible. Dans la vallée de Grésivaudan par exemple, le franchissement de l’Isère par les véloroutes du sillon alpin (V63) ouvre plusieurs possibilités : “Nous avons proposé une passerelle dédiée en aval ou en amont du pont suspendu existant. Une autre possibilité serait de démolir l’ouvrage d’art (existant, ndlr) pour reconstruire un pont multimodal”, témoigne Cédric Allier, chef de projet chez Egis.

Les études du terrain et des ouvrages d’art existants à réaménager sont un prérequis. Dans le cas de la réhabilitation d’anciens ouvrages, il est absolument nécessaire de faire un diagnostic de la structure, des voûtains (éléments des voûtes), du tablier (partie centrale) et des garde-corps, sur lesquels les cyclistes ou les piétons peuvent s’appuyer. Il est parfois possible d’utiliser les garde-corps ou les encorbellements existants, parfois non, ce qui a nécessairement un impact sur le coût de la réhabilitation et sur la largeur du franchissement cyclable. Il n’est ainsi pas toujours possible d’atteindre les quatre mètres de largeur recommandés pour que tous types de vélos puissent se croiser sans danger. Autre élément déterminant : la géotechnique (ou l’étude des sols en vue de leur aménagement). “Souvent mal appréhendée, elle est pourtant indispensable pour connaître le terrain que l’on va rencontrer, surtout pour les ouvrages suspendus où les efforts sont ancrés de part et d’autre du franchissement”, précise Marc Velu, directeur commercial et export au sein de l’entreprise CAN.

De nouvelles modalités de travail entre acteurs

La conception est une étape clé à la fois pour garantir la sécurité, pour améliorer l’usage et pour optimiser les finances des franchissements cyclables. Marc Velu alerte sur le fait que “les délais de réponse aux appels d’offre sont parfois trop courts et ne laissent pas le temps de mener l’étude correctement”. Les entreprises aimeraient proposer des méthodologies inventives sans tenir forcément compte de ce qui est décrit dans les appels à projets pour intégrer des solutions venues d’ailleurs, notamment des grandes nations du vélo. Le franchissement du pont Adolphe dans la ville de Luxembourg est un exemple du genre. Les garde-corps inclinés vers l’extérieur, fréquents aux Pays-Bas, permettent d’éviter l’effet tunnel pour les cyclistes et se posent également en référence.

Une passerelle cyclable et piétonne sous le pont Adolphe à Luxembourg ©Demathieu Bard

Donovan Hubert, responsable commercial de l’entreprise Demathieu Bard, salue les initiatives qui permettent aux maîtres d’œuvre et aux entreprises de travailler main dans la main. “Le schéma de conception-réalisation permet de gagner du temps dans les échanges entre la maîtrise d’œuvre et l’entreprise, qui répond sous la forme d’un concours”. Dans ce cadre, un même groupement ou un seul opérateur réalise les études et l’exécution des travaux. Les marchés de conception-réalisation constituent à ce titre une exception à l’organisation tripartite posée par la loi MOP (loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée).

Des constructions souvent dangereuses, parfois acrobatiques

Si les études et la conception relèvent parfois du casse-tête géo-mathématique, les travaux ne sont pas en reste. Situés au-dessus de routes, d’autoroutes ou de cours d’eau importants avec un passage de bateaux ou des courants qui rendent le site inaccessible certaines journées, la création des passerelles cyclables est elle aussi très technique. Cela explique pourquoi il a fallu deux années de travaux pour aménager le pont de Gambsheim situé le long d’une écluse et d’une centrale hydroélectrique. Il n’était pas évident de permettre aux grues chargées de l’entretien de l’écluse de passer. Voici deux exemples complexes du genre : l’entreprise CAN, spécialisée dans les travaux d’accès difficile, a installé un blondin, un téléphérique de chantier pour déconstruire le pont de Rochemaure, évacuer les matériaux et créer le nouveau pont suspendu (EuroVelo 17 – ViaRhôna). La réalisation a duré trois mois et demi pour un budget de 900 000 euros.

Le pont de Rochemaure sur l’EuroVelo 17 – ViaRhôna ©Marc Velu

L’entreprise Demathieu Bard, groupe historique dans les ouvrages d’art, met actuellement en place la passerelle de Thionville, longue de 64 mètres, par des moyens nautiques.

Le pont de Thionville installé par l’entreprise Demathieu Bard ©Demathieu Bard

Place à l’entretien des ouvrages

L’histoire des passerelles modes doux ne s’arrête évidemment pas à leur réalisation. Comme pour l’ensemble des aménagements cyclables, les maîtres d’ouvrage doivent les entretenir. Le choix du revêtement a un impact direct sur l’intensité de l’entretien. Les platelages en bois par exemple nécessitent un nettoyage à la brosse régulier, comme en témoignent plusieurs intervenants. D’autres matériaux existent, plus résistants et moins lourds, comme les dalles en DFU de plus en plus utilisées pour ces ouvrages.

Le rythme de l’entretien des franchissements cyclables peut être conséquent pour les collectivités. L’Alsace, par exemple, entretient 91 ouvrages d’art supérieurs, principalement métalliques. Le réseau est en bon état, mais “17 % des franchissements cyclables ont des pathologies mineures et 2 % ont des travaux prévus en raison de structures affaiblies”, précise Orianne Jouan, chargée de mission mobilité à la collectivité européenne. Voilà qui s’ajoute aux autres franchissements cyclables à créer, dont les passages inférieurs à envisager sous des voies routières. Mais cela, c’est encore une autre histoire. Vélo & Territoires ne manquera pas de vous la conter prochainement.

Julie Rieg

Pour aller plus loin :

Politiques cyclables