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Cycling Without Age – Le vent dans les cheveux blancs

« Nos aînés ont ouvert la voie pour nous. Maintenant, il est temps de donner en retour. » Venu du Danemark, ce leitmotiv humaniste arrive doucement en France. Chronique d’un projet cohérent et inspiré.

C’est une histoire de (ré)générations, de souvenirs enfouis et de paradis qui refont surface, de sensations longtemps crues perdues et d’un plaisir enfantin soudain retrouvé. En 2012, le Danois Ole Kassow observe une photo sépia des rues de Copenhague, prise dans les années trente. Les cyclistes y sont la norme, les automobilis-tes, l’exception. Un rapide calcul lui fait réaliser que le monsieur de 97 ans qu’il croise chaque matin assis sur le même banc, le teint hâlé par le soleil mais les gestes limités par le poids des ans, est précisément de cette génération. Une génération
d’avant l’ “auto-boom” des années cinquante et soixante, que le passage du temps aura rendue moins sûre de ses réflexes guidon en main lorsque, à partir des années soixante-dix et quatre-vingt, tout le Danemark se mit à nouveau à enfourcher du deux-roues. Velléités, hésita-tions, renoncement, nostalgie, soupirs et manque… Ni une, ni deux, Ole Kassow, qui perdit son père d’une sclérose en plaques en 1989 après l’avoir vu en fauteuil roulant pendant toute son enfance, décida que l’heure était venue de faire oeuvre utile. Il loua un triporteur, toqua sans rendez-vous à la grille de la première maison de retraite venue, et proposa d’accompagner en balade le ou la résident(e) qui le souhaiterait.

Il faut croire que l’idée arrivait à point. Non seulement le personnel accepta le principe d’une promenade d’une demi-heure, mais la destination choisie en guise de madeleine de Proust par la première volontaire – un coin du port  de Copenhague où elle avait coutume d’aller s’acheter une glace lorsqu’elle était adolescente – convainc le jeune entrepreneur qu’il avait touché juste. Le lendemain, la direction de l’établissement le rappela. « Qu’avez-vous fait exactement à notre résidente hier ? Aujourd’hui, tous les autres veulent essayer à leur tour ! » Mieux encore, l’initia-tive parvint jusqu’aux oreilles de Dorthe Pedersen, en charge du lien entre citoyens et collectivités auprès de la mairie de  Copenhague, qui proposa en avril 2013 à Ole non pas un mais cinq tripor-teurs pour démarrer son activité. Cycling Without Age (À vélo sans âge, en français) était né.

Discussions. Aujourd’hui, 65 des 98 communes du petit royaume de Danemark portent le projet, mobilisant quelque 400 triporteurs et 3 000 pilotes bénévoles, respectant à la lettre le cahier des charges posé par la maison-mère, et relatant sur les réseaux sociaux le fruit des discussions suscitées par le fait que conducteur et passagers voient défiler les mêmes paysages mais avec une sensibilité et un filtre différents. Fin 2015, 150 villes réparties sur une vingtaine de pays ont elles aussi enclenché la première.

Loin des proches. En France, c’est la lecture en 2013 d’un entretien accordé par Dorthe Pedersen à la presse danoise qui créera le déclic. La lectrice s’appelle Ditte Jakobsen. Ancienne manager en communication les soirs de match du Football Club Nordsjælland (champion du Danemark en 2012), cycliste convaincue désormais installée dans les très roulantes Landes avec son mari néerlandais et leurs trois enfants, elle entame les démarches et le bouche à oreille pour développer Cycling Without Age en France. « Nous avons identifié deux groupes : les EHPAD [1] et les personnes âgées isolées, explique-t-elle au retour d’une promenade sur le front de mer de Capbreton en compagnie de M. Peyrezabes (95 ans) et Mme Doussaint (102 ans). À la différence du Danemark où les distances sont relativement réduites,  en France les personnes vivent souvent loin de leurs proches. La démarche CWA permet de réduire symboliquement cette distance en allant sur des lieux qui sont chers à ces personnes, de créer du lien et de l’échange. » À l’automne 2015, le CCAS [2] de Capbreton lui permet ainsi d’entrer en contact avec la maison de retraite Notre-Dame-des-Apôtres. « Nos résidents étaient très demandeurs pour sortir se promener, se souvient Sylvie Couderc, animatrice coordinatrice de l’EHPAD . La première fois, je les ai  accompagnés, la deuxième, Mme Jakobsen y est allée seule. Trois d’entre eux sont sortis et ils en sont revenus ravis, notamment l’une de nos résidentes qui a quasiment perdu la vue et l’ouïe et qui voulait juste sentir le vent sur son visage. Elle nous a dit qu’elle a pu, une dernière fois, contempler l’immensité de l’océan. »

Chemin. Renforcée début 2016 par le soutien de Nielsen Concept, une société basée à Rézé en Loire-Atlantique, la jeune structure est aujourd’hui à mi-chemin entre le succès d’estime – « Tout le monde est emballé par ce projet citoyen ! » – et le cap du soutien institutionnel indispensable pour s’équiper en triporteurs électriques auprès du fabricant danois Nihola, désormais doté d’ateliers près de Nantes. Comme le dit un proverbe d’un continent plus au sud où le verbe “vieillir” est depuis toujours une qualité, « c’est dans l’œil de l’ancien que se trouve le chemin de la vie. »

Anthony Diao

[1] Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
[2] Centre communal d’action sociale.

Pour en savoir plus : www.cyclingwithoutage.com – www.avelosansage.fr

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