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Observer le vélo dans les territoires : les clés de la réussite

Extrait de Vélo & Territoires, la revue n°69

Pourquoi évaluer une politique cyclable ? Comment procéder ? Quels écueils éviter ? Sur quelles expériences antérieures capitaliser pour gagner du temps ? Telles furent quelques-unes des questions abordées lors de l’atelier observation du 5 octobre dernier aux 26es Rencontres Vélo & territoires dans le Cher.

L’atelier Observation lors des 26es Rencontres Vélo & Territoires dans le Cher ©Philippe Mayer

Reconfigurer la mire

En pédagogie, l’étape de l’évaluation sanctionne un palier dans le processus de progression et
d’apprentissage. Il permet à l’apprenant d’être au clair sur son niveau de maîtrise des connaissances nouvellement acquises, et à l’enseignant d’ajuster éventuellement le tir avant de passer aux paliers suivants. En matière de mobilité cyclable, les mêmes mécanismes sont peu ou prou à l’œuvre, même si le niveau de technicité croît de façon exponentielle et que tout est affaire d’échelle, de priorisation et de moyens financiers et humains. « Pourquoi évaluer ? » amorce ainsi Nicolas Mercat, vice‑président de Vélo & Territoires, en ouverture de l’atelier intitulé « Observer la mobilité à vélo et les politiques vélo : les clés de la réussite. » Plusieurs enjeux sont en effet à l’œuvre dans cette troisième des quatre étapes traditionnelles de la mise en place d’une politique cyclable – les trois autres étant la planification, la réalisation puis, à l’autre bout du spectre, la promotion. Évaluer, selon l’expérimenté modérateur de cette séance, peut se faire avant, pendant ou après la livraison des aménagements cyclables. Évaluer, c’est à la fois « justifier l’utilité des aménagements entrepris », « s’assurer que les objectifs annoncés ont bien été atteints », « analyser la fréquentation et en mesurer les retombées en matière économique ou de santé publique » ou « échanger avec d’autres territoires et d’autres usagers » … Bref, évaluer c’est, comme en pédagogie, se donner l’opportunité de reconfigurer la mire afin de « construire des aménagements et des services adaptés à la demande. » Le champ d’évaluation ? Il porte autant sur l’offre de services (combien de vélos proposés à la location ?) que sur les demandes des usagers (quel est leur profil et quel type d’aménagement ou de service attendent-ils ?), sur le quantitatif (combien de passages ?) que sur le qualitatif (quel est leur niveau de satisfaction ?).

Langage commun

Ce mantra aura été répété par la quasi-totalité des intervenants de cet atelier. Il s’agit de l’importance de convenir d’un langage commun pour partager les expériences, et de s’y tenir. « Il est important de ne pas chercher à réinventer la poudre » rappelle d’ailleurs Nicolas Mercat en clôture de l’atelier. Pour illustrer ce préalable absolu, Fabien Commeaux, géomaticien à Vélo & Territoires, prend d’abord le temps de lister les différents outils nationaux et autres référentiels mis en place entre 2014 et 2021 par l’association pour permettre le suivi de l’infra, insistant sur « l’importance de standardiser les données » et de « s’approprier les modèles existants », ceux-ci allant de l’équipement au stationnement en passant par le comptage, la base nationale des aménagements cyclables ou le signalement des anomalies. Eric Gonçalves, chargé de la gestion du réseau cyclable pour le département du Calvados, ne dit pas autre chose lorsqu’il confie souhaiter ardemment que « les standards nationaux soient le langage commun de toutes les collectivités. » En amont et en cohérence avec les 30 millions d’euros investis depuis le lancement en 2004 du Plan vélo départemental, le Calvados a ainsi mis en place un outil SIG partagé avec les EPCI, lui permettant d’obtenir le suivi de ses aménagements via deux jeux de données : un à l’échelle du département, l’autre à celle des EPCI. Cette double entrée permet d’affiner le fléchage des subventions et d’obtenir des indicateurs d’avancement plus précis, avant de transférer le tout à l’échelon national dans les formats standards requis. « L’objectif ultime de toutes ces actions reste l’information et la satisfaction des usagers », rappelle le technicien dont le territoire affiche 637 km d’itinéraires ouverts dont 63 % en voies partagées.

Évaluer c’est se donner l’opportunité de reconfigurer la mire afin de « construire des aménagements et des services adaptés à la demande ».

Gagner un temps précieux

« Avant d’essayer d’imaginer des choses à votre propre échelle, l’idée est de s’emparer de ce qui existe déjà », enchaîne Stéphanie Mangin au moment d’évoquer les outils nationaux pour le suivi de la fréquentation. Pour la responsable du pôle Observation de Vélo & Territoires, lorsqu’une collectivité cherche à agréger des données, à produire des analyses ou à comparer des chiffres, la tentation est grande de vouloir réinventer la roue, alors qu’il existe de nombreuses solutions à leur disposition. Ainsi la Plateforme nationale des fréquentations, qui recense les données de comptages de vélos, permet aux collectivités contributrices de se comparer entre elles. Le portail cartographique (webSIG) de Vélo & Territoires peut devenir le support géomatique de collectivités non pourvues de tels outils. Les enquêtes mobilités certifiées (EMC²) du Cerema permettent d’observer les pratiques de mobilité urbaines selon une méthode standardisée. Selon Nicolas Mercat « le Cerema a une méthode très calibrée qui couvre globalement 70 % de la population du territoire et qui peut être recalibrée avec les enquêtes nationales transports », l’organisme effectuant par ailleurs un travail considérable de recompilation des enquêtes ménages EMC², en tenant compte des nombreux changements de périmètres liés à l’évolution des collectivités.

Bonne pratique : capitalisation sur le Baromètre de la FUB

Héloïse Plaut, chargée d’études à la mission vélo au conseil départemental de Loire-Atlantique

Dès le lancement en 2017 du Baromètre de la FUB, le département de Loire-Atlantique y a vu une double opportunité : celle de s’emparer de ces données pour comprendre, comparer et évaluer l’évolution de la pratique cyclable à l’échelle du département, mais aussi celle de faire de ce Baromètre un outil d’aide à la décision, tant pour le Département que pour les Intercommunalités – tout en gardant en tête qu’il s’agissait non d’une enquête ménage déplacement mais d’une enquête de ressenti d’usagers, qui ne représentait donc pas l’ensemble de la population de Loire-Atlantique. Pour augmenter la représentativité des données collectées, le Département a misé sur la communication pour faire en sorte qu’un maximum de personnes, cyclistes confirmés ou non, militants ou non et même non-cyclistes répondent à l’enquête mise en place par la FUB. Résultat ? En trois éditions de l’enquête, le département est passé de 4 000 répondants à près de 10 000 permettant ainsi des analyses sur les profils de pratiques et les besoins des usagers à l’échelle du département et sur la plupart des EPCI du territoire.

Pour atteindre cet objectif, un partenariat a été mis en place avec la FUB et l’association Place au Vélo Nantes pour améliorer la collecte. Une convention de mise à disposition et de transmission des données anonymisées a également été signée et la direction Prospective du Département s’est attelée au nettoyage et au recodage de la base de données dans un logiciel de traitement d’enquêtes. L’ensemble a représenté un mois de travail. Les données traitées et mises en forme par le Département sont mises à disposition des EPCI sous forme de tableau de bord faisant apparaître les tendances fortes concernant le sexe des répondants, leur âge, leur niveau de pratique et de militantisme, leur utilisation du VAE ainsi que leur niveau de satisfaction par rapport aux aménagements proposés. Prochaine étape : croiser les localisations des points noirs collectés via l’enquête et le réseau cyclable porté par le Département pour prioriser les investissements à venir.

Partir de l’existant

Pour illustrer cet état d’esprit, Sabine Carette, chargée de missions à l’Observatoire des mobilités et Modélisations pour le Syndicat des mobilités de Touraine, témoigne d’une approche qui « part de l’existant » puis « élargit la gamme des thématiques et l’enrichit de données nouvelles au fur et à mesure », alimentant régulièrement les open datas afin notamment de nourrir et d’étayer les reportings périodiques qui serviront de supports à la communication externe à l’attention des élus ou des journalistes. Mettre en place un dispositif d’observation nécessite une veille continue des outils utilisés, afin de garantir la collecte d’une donnée de qualité, et une certaine prise de hauteur lors des analyses. Par exemple, « l’installation de compteurs implique un suivi régulier, explique-t-elle. Je me connecte tous les matins et fais le point à partir des courbes de la veille. C’est le seul moyen de déceler d’éventuelles anomalies. » Même vigilance concernant par exemple les statistiques relatives aux 15 abris vélos intégrés sur le territoire, puisque, avec le phénomène des vélos ventouses, « la fréquentation est parfois décorrélée de l’occupation réellement constatée. » Idem encore concernant les traces d’utilisateurs relevées sur les applications Strava ou Geovelo qui sont plutôt orientées loisirs alors que l’Observatoire tourangeau est davantage intéressé par les usages du quotidien. Ces données donnent davantage une tendance d’ensemble que des indicateurs gravés dans le marbre.

Les données sont partout et il appartient aux différents acteurs de s’en emparer.

Bonne pratique : vers un dispositif global d’observation

Christian Gioria, adjoint du département intermodalité et nouvelles mobilités à Île-de-France Mobilités

Île-de-France Mobilités (IDFM) met en place de nombreux dispositifs de suivi des services proposés aux habitants. L’ensemble de ces actions doivent permettre d’évaluer les besoins, de mesurer la fréquentation et d’identifier les effets d’entraînement entre services ou sur le report modal. Pour cela, IDFM utilise tout un panel d’outils : enquêtes qualitatives auprès des usagers, interviews, focus groupes. Un exemple concret ? Le suivi de l’aide à l’achat est réalisé par une enquête auprès des bénéficiaires, près de 200 000 depuis 2010. Cette enquête s’appuie sur le questionnaire utilisé en son temps par l’ADEME dans le cadre de l’étude sur l’évaluation des services vélo (2016 et 2020). Celle-ci permet de mesurer le poids de l’aide dans l’incitation à l’achat. Elle permet également de mesurer son impact en termes de report modal. Outre le report de la voiture vers le vélo, l’enquête a permis de mettre en évidence les effets de report des transports en commun vers le vélo sur des sections en surfréquentation. Autre exemple, le service Véligo location fait l’objet d’un suivi par enquête en quatre temps : au moment de la souscription pour évaluer le contexte, pendant l’utilisation et au moment du retour pour suivre la satisfaction des usagers, et trois mois après le retour pour évaluer les effets d’entraînement (taux de pratique du vélo, taux de recours à l’aide à l’achat…). Ces dispositifs juxtaposés sont riches d’enseignements mais mériteraient d’être croisés entre eux pour venir guider les prises de décisions au moment de déployer un nouvel aménagement, d’implanter des stationnements ou une maison du vélo. Cette quête ultime, IDFM tente d’y répondre progressivement. Preuve en est, son souhait de travailler au croisement des données GPS, collectées via les vélos du service Véligo location, avec les données d’aménagement, de stationnement ou de comptages. Ce travail reposant sur des données personnelles, bien qu’anonymisées, nécessite de s’armer pour répondre aux exigences de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Écouter pour comprendre

Autre paramètre non négligeable – pour ne pas dire central – de l’équation : les usagers. « Leurs remontées d’information, une fois l’aménagement réalisé, sont précieux » insiste Stéphanie Mangin, rappelant l’importance de l’outil de signalement développé par Vélo & Territoires, comme de son interfaçage avec Suricate ou, dans un registre différent, le Baromètre des villes cyclables de la FUB : « Plus vous avez de répondants, plus vous pouvez vous en emparer et vous appuyer sur les données collectées à cette occasion. » Ce rôle de levier dudit baromètre est confirmé par Héloïse Plaut, chargée d’études pour le Département de Loire-Atlantique. La technicienne explique la somme de perspectives ouvertes par le simple constat du différentiel des réponses obtenues entre chacune des trois premières éditions de la vaste prise de température nationale de la FUB : de 113 000 en 2017 à 185 000 en 2019, soit un bond de 64 %, qui se poursuit entre 2019 et 2021 avec une hausse de 50 %. Tout en gardant en tête qu’il s’agit d’abord d’une « enquête de ressenti des usagers », et donc en aucun cas représentative de l’ensemble de la population du territoire, elle y a surtout vu une opportunité en or pour « comprendre la politique cyclable à l’échelle du département ». Partenariat avec l’association Place au vélo, signature d’une convention de mise à disposition avec la FUB pour pouvoir récupérer les données brutes anonymisées, un mois de travail à temps plein de nettoyage et de retraitement des données via le logiciel Sphinx, mobilisation des habitants via les réseaux sociaux et les bulletins d’information locaux, travail de cartographie pour permettre des croisements, profilage anonymisé des répondants permettant d’y voir plus clair en termes de parité, de VAE ou de ratio militants-non-militants : en un mot comme en cent, ce travail de fourmi méthodique a permis de mettre à jour « un nombre conséquent d’items intéressants dans l’optique de la construction de nos plans d’action, et de les décliner à l’échelle communale. »

Avant d’essayer d’imaginer des choses à votre propre échelle, l’idée est d’utiliser de ce qui existe déjà.

Croiser pour avancer

Après l’analyse micro, place aux enjeux macro. Quelles perspectives ouvrent le croisement et la comparaison des différentes données collectées ? Pour Christian Gioria, adjoint au département Intermodalité et nouvelles mobilités à Île-de-France Mobilités, le télescopage des résultats est moins source de confusion que de complémentarité. Qu’il s’agisse d’une enquête trimestrielle aux abords des gares, d’une enquête annuelle auprès des bénéficiaires d’aides à l’achat, d’une autre auprès des usagers de stationnement vélo ou d’une dernière auprès des abonnés Véligo, tout est lié : l’offre, l’usage, les effets d’entraînement mais aussi l’aide à l’achat, son impact en termes de report modal, le découpage par zones géographiques de ce territoire aux 86 EPCI et aux 12 millions d’habitants (Paris, Petite couronne, Grande couronne), la prise de conscience opérée par l’essai de VAE en libre service sur le retour au vélo mécanique… Les données sont partout, et il appartient aux acteurs de ces politiques de s’en emparer. Avec un garde-fou, tout de même : veiller à rester dans les clous par rapport au respect de la vie privée tel qu’il est encadré par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

Prévoir et prioriser

Un dernier constat émerge de l’ensemble des témoignages présentés lors de ses 26es Rencontres : implanter des compteurs, commander une étude, mettre en place une collecte de données GPS s’est une chose. Mais celle-ci peut parfois s’annoncer inutile si en parallèle on ne se dote pas des moyens humains et financiers pour maintenir les outils, nettoyer, exploiter et valoriser les données. Il ressort souvent que si l’on ne consacrait ne serait-ce que 1 % des sommes allouées à l’aménagement dans un dispositif d’observation, nous serions certainement près d’atteindre le suivi idéal. Il faut donc dès le départ penser à la pérennité du dispositif quitte à réduire la voilure, prioriser et faire des choix plutôt que de se lancer dans un système que l’on ne pourra maintenir. Les collectivités qui affichent un panel de plus de 20 compteurs ne les ont pas installés en un an. Comme le souligne Sabine Carette, l’observation se construit au fur et à mesure en identifiant les sources de données disponibles et les besoins. À titre d’exemple, le syndicat des mobilités de Touraine possède aujourd’hui 25 sites de comptages qui ont été implantés à raison de deux ou trois par an.

Des outils à votre service

Vélo & Territoires propose de nombreux outils, guides et méthodes pour accompagner les collectivités dans la mise en place du suivi et de l’évaluation de leur politique cyclable. À chaque étape son outil. Vous souhaitez mettre en place un suivi géomatique de vos véloroutes, aménagements ou stationnements ? Consulter les modèles de données en vigueur, disponibles sur notre site Internet, à la rubrique « Ressources – Data et modèles de données ». Vous souhaitez vérifier les tracés de véloroutes transmis par votre collectivité ou regarder comment elles s’inscrivent dans un réseau plus large, rendez-vous sur le webSIG, portail cartographique permettant de visualiser et d’exporter les données des itinéraires et aménagements cyclables. Vous n’avez pas d’outil géomatique à votre disposition et souhaitez mettre en place un suivi sur votre territoire, le webSIG peut-être une solution gratuite pour vous faciliter la tâche. Les aménagements sont réalisés et votre préoccupation s’oriente vers l’évaluation de la fréquentation, pour vous aider à positionner vos compteurs et entretenir la donnée, Vélo & Territoires propose différents guides à la rubrique « Ressources » de notre site Internet. Avoir des données sur son territoire, c’est intéressant mais pouvoir se comparer, c’est encore mieux. Pour cela, en contribuant à la Plateforme nationale des fréquentations (PNF), vous accédez en contrepartie aux données partagées par plus d’une centaine de structures différentes et vous contribuez à améliorer la connaissance au niveau national. Vous avez justement besoin de connaître les dernières tendances sur votre région, les atlas régionaux dynamiques sont là pour ça. Ils permettent de visualiser en quelques clics les principales données d’aménagement, de fréquentation, de stationnement et de cyclabilité de chaque région. Ces atlas sont visibles sur notre site Internet à la rubrique « Observatoires – Données vélo ». Chaque année, l’équipe de Vélo & Territoires produit de nombreuses analyses : chiffres clés du tourisme à vélo, rapport annuel de la PNF, bulletins mensuels de suivi de la fréquentation vélo… Elles sont relayées dans nos newsletters et en téléchargement sur le site Internet.

Anthony Diao


Ce dossier a été réalisé avec le soutien de l’Ademe.

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