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Marianne Borgen

« Incarner une alternative, c’est aussi savoir être réactif à la demande » : c’est par ces mots que Madame la maire d’Oslo s’amusa de notre étonnement lorsque, 72 heures ouvrables à peine après avoir sollicité ses services pour un entretien téléphonique, elle rappela tranquillement, comme convenu.

Diplômée en sociologie et forte de 25 années à s’occuper des droits des enfants de son pays et du monde entier, Marianne Borgen est devenue maire d’Oslo en octobre 2015. Depuis, la capitale norvégienne semble reverdir à vue d’œil au fil des mesures prises par cette femme de 56 ans et de son équipe. Un timing parfait pour évoquer en sa compagnie les trois V : sa vie, sa ville, et la place croissante qu’y occupe le vélo.

  • Depuis quand êtes-vous impliquée dans l’action citoyenne en faveur du vélo ?

Le vélo, c’est toute ma vie d’élue et même ma vie tout court. J’ai en effet eu mon premier vélo à l’âge de 10 ans, à une époque – les années cinquante – où, culturellement, avoir son propre vélo si jeune était plutôt rare. J’avais 28 ans lorsque je suis entrée au Conseil de la ville en 1979 et, avant de devenir maire, je me suis notamment occupée entre 2011 et 2015 d’un comité relatif aux questions environnementales. Oslo a mis longtemps à devenir une ville cyclable. J’ai donc bien connu l’époque des tensions entre les automobilistes, les bus et les cyclistes.

  • Quelle oreille accordent les décideurs et les citoyens norvégiens à l’évolution politique sur cette thématique ?

C’est un long chemin. Les rues d’Oslo étant particulièrement étroites, tout l’enjeu est de trouver de la place pour permettre aux différents usagers de cohabiter. Les conservateurs sont restés dix-neuf ans au pouvoir, et c’était alors le règne du tout-voiture. En 2015, nous avons formé une coalition rouge-vert, avec mon parti de la Gauche socialiste et deux autres partis. Une fois élus, la première question à trancher, c’était : qu’est-ce qui est le plus important ? Pour nous, les transports publics sont devenus une priorité, avec un effort particulier sur la transformation des couloirs de stationnements automobiles en couloirs cyclables. Nous voulions vraiment que ça devienne quelque chose de facile, de sûr et d’attirant.

  • Vous disiez qu’Oslo a mis longtemps à devenir une ville cyclable. Pour quelles raisons ?

Entre 2011 et 2015, j’ai dirigé ce Comité relatif aux transports et aux questions environnementales, avec qui nous avons notamment mené une vaste enquête pour essayer de comprendre pourquoi les habitants d’Oslo n’utilisaient pas davantage le vélo. La sécurité quant au partage de la voie est la doléance qui nous est le plus souvent revenue. Le message était clair. Par ailleurs nous avons en Norvège des paramètres comme la neige, les six mois de nuit ou le verglas. Il y a chez nous une vraie différence entre l’été et l’hiver. En octobre-novembre, c’est une autre saison cycliste qui commence. La nuit tombe, le froid arrive… Beaucoup changent de vélo ou sortent les chaînes. Des vêtements chauds, de l’éclairage et du déneigement des voies cyclables sont le seul moyen pour rouler à vélo en hiver.

  • Dans la plupart des pays, l’un des freins les plus souvent avancés pour justifier la frilosité face au vélo au quotidien est précisément la question des intempéries et de la transpiration. Pourquoi, en dépit des caractéristiques climatiques de la Norvège telles que vous les décrivez, ces arguments s’apparentent moins à des freins véritables qu’à des excuses ?

D’abord, culturellement, nous sommes un pays où les gens aiment être à l’extérieur. Dans nos crèches, tant que le baromètre ne descend pas de dix degrés en dessous de zéro, les enfants jouent en général dehors… Ensuite, chez nous aussi, tout le monde veut arriver frais et bien habillé au travail. Or, sur ce point, les employeurs sont un levier important, car eux seuls peuvent décider de prévoir et d’aménager non seulement un local logeable et sécurisé pour le rangement des vélos, mais aussi et surtout une salle pour que le personnel puisse se changer, une douche, un vestiaire, etc. Le calcul est simple : le vélo c’est la santé, et un employé en bonne santé, c’est un employé plus vif, plus investi, et donc meilleur pour l’employeur… L’autre levier, ce sont les vélos à assistance électrique. J’ai 66 ans et je vis dans une ville pentue qui redescend sur le fjord. À cet égard, le vélo à assistance électrique est une vraie révolution. Et en plus c’est amusant ! Je m’en sers dès que je peux pour mes rendez-vous.

  • Quel a été l’impact de la désignation d’Oslo comme Capitale verte européenne pour 2019 ?

C’est à la fois une grande fierté, une énorme source d’inspiration mais aussi une sacrée responsabilité ! Le jour où c’est arrivé, nous sommes sortis de la Mairie et avons distribué des glaces à nos concitoyens en leur disant « Félicitations, nous avons été élus Capitale verte pour 2019 ». Pour nous, l’approche est simple : si vous voulez changer les choses, il faut commencer par rendre les gens fiers et leur rappeler qu’ils sont partie prenante à ce changement. Depuis, partout où je vais, j’entends les Osloïtes dire : « Comment pouvons-nous vous aider dans cette aventure ? » Ce sentiment d’implication collective nous donne un cœur et un courage énormes pour avancer sur ces thématiques, en faire un événement voire – je l’espère – un exemple à suivre. En 2019, c’est nous qui invitons et nous comptons faire ça bien !

  • Le Danish Leadership Award que la ville d’Oslo s’est vue remettre en juin 2017 aux Pays-Bas en marge de Velo-city, cela participe de la même dynamique ?

Tout à fait. Oslo ayant longtemps été difficile pour les cyclistes, nous menons un gros travail depuis 2015, et c’est encourageant d’être aujourd’hui reconnus par nos pairs. Oslo est désormais sur la carte du monde cyclable, au même titre que le Danemark et la Suède, deux pays qui furent – et sont toujours ! – eux-mêmes sources d’inspiration pour nous. J’espère qu’à notre tour nous donnerons envie à d’autres, car il est toujours bon d’échanger et de partager nos expériences respectives.

  • Vous disiez avoir succédé à dix-neuf années de « tout-voiture », du temps de l’administration précédente. Est-ce que le vélo fait désormais consensus ?

Ce serait tellement plus simple, n’est-ce pas ? Dans les faits, bien sûr que nous essuyons des critiques de l’opposition et que nos mesures ne font pas toujours l’unanimité. Mais le bien de tous – y compris de nos opposants – passe à mon sens nécessairement par là… C’est un mouvement mondial. Vous savez, j’ai à titre personnel des enfants et des petits-enfants. La pollution, notamment en hiver, c’est une préoccupation quotidienne : quel air laisserons-nous à respirer à notre descendance ? De plus en plus de gens vivent en ville, et ces villes ont des responsabilités. Il appartient à chacun d’entre nous de faire sa part du travail. C’est aussi simple que cela.

  • Lorsque vous jetez un œil dans le rétroviseur, de quoi êtes-vous la plus fière ? Et quels sont les défis qui vous attendent ?

Je suis fière de la cohérence de notre engagement. Vous savez, j’ai travaillé pendant de longues années sur la thématique de l’enfance. Or aujourd’hui tout se rejoint : une ville meilleure pour le climat et l’environnement l’est aussi pour ses enfants, leur sécurité, leur confiance. À 10 ans, nos écoliers reçoivent désormais une formation théorique et pratique sur la sécurité routière qui débouche sur un certificat, car plus les enfants sont sensibilisés tôt, plus ils deviendront de bons citoyens. Pour ce qui est des prochains défis, l’opération Cycling Without Age remporte chez nous un succès considérable auprès des seniors [cf. Vélo & Territoires n°42]. Nous travaillons également à combler le fossé qui s’est creusé depuis trop longtemps entre riches et pauvres. C’est l’un des gros enjeux contemporains. Moins de tensions à ce niveau-là contribue à l’apaisement. Et la paix,
c’est un combat quotidien (sourire).

Propos recueillis par Anthony Diao

Pour en savoir plus : Film d’Oslo sans voiture avec interview de Marianne Borgen (en
anglais)

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