Muriel Faure
Extrait de Vélo & Territoires 40
Titulaire d’un doctorat de sociologie et d’anthro-pologie, et ancienne chargée de mission Coopération territoriale européenne au conseil général de la Savoie, Muriel Faure est à la tête de la Grande Traversée des Alpes depuis le 1er octobre 2011. Une excellente occasion pour Vélo & Territoires de prendre de la hauteur.
- La Grande Traversée des Alpes : de quoi s’agit-il exactement ?
L’association Grande Traversée des Alpes (GTA ) a été créée en 1971 par la DATAR (Direction interministérielle à l’amé-nagement du territoire et à l’attractivité régionale). Elle s’inscrit dans la dynamique et l’esprit des premiers parcs en France, avec pour mission de développer la traversée estivale des Alpes à pied par le GR 5. Nous sommes alors dans l’âge d’or de l’aménagement du territoire. Les activités de la GTA s’inscrivaient déjà dans une vision moderne du développement touristique, comme un contre-poids à la mise en place du Plan neige.
- Pouvez-vous resituer ce qu’était le Plan neige ?
Le Plan neige remonte à 1964. Il déterminait un concept de stations d’altitude très fonctionnelles, dédiées au ski et fondées sur un urbanisme vertical. Le but de ce plan était de faire émerger une nouvelle génération de stations très performantes, susceptibles d’attirer les devises étrangères. À cette époque, plusieurs personnalités du monde politique, institutionnel et professionnel, conscientes du nécessaire équilibre saisonnier de l’offre touristique et de l‘activité en montagne, ont décidé de faire de l’itinérance estivale un véritable levier économique pour les hautes vallées et les villages d’altitude, et de contribuer ainsi à leur revitalisation.
- C’est donc à ce stade qu’intervient la Grande Traversée des Alpes…
Voilà. La GTA a donc organisé une offre touristique alpine en équipant le GR 5 d’hébergements adaptés à des clientèles nouvelles (création des gîtes d’étape, dont la GTA est toujours propriétaire du concept à l’INPI ). Au fil des années, il a été confié à la GTA la création, l’animation et la promo-tion d’autres grands itinéraires alpins, la Route des Grandes Alpes, les Chemins du Soleil, les Routes de la Lavande… Et nous travaillons également aujourd’hui sur la question des VA E, avec en 2015 le lancement de la première grande traversée des Alpes à vélo électrique, “les P’tites routes du Soleil”.
- Le 16 décembre 2014, vous avez signé un contrat de destination avec le ministère des Affaires étrangères, afin notamment de valoriser la montagne en été. En quoi le vélo représente-t-il un enjeu sur cette thématique en particulier ?
Il y a plusieurs approches du vélo en montagne. Il y a l’approche classique, cyclosportive, pour laquelle la montagne va de soi. Il y a ensuite ce que j’appellerais le “vélo-sacoches”, c’est-à-dire l’approche voyage, pour laquelle plusieurs offres doivent être proposées afin de convenir aux différents profils d’usagers. Il y a aussi le public VTT , pour lequel l’offre doit elle aussi être variée, avec l’arrivée des VTT électriques et autres fatbikes. Idem désormais avec le vélo à assistance électrique, qui constitue un enjeu important pour démocratiser la montagne et l’ouvrir à de nouvelles clientèles puisqu’ils permettent de gommer la pente, ou du moins de la lisser… Le vélo est une discipline qui innove constamment. Design, tenues vestimentaires, GPS , console de gestion de l’autonomie pour les VA E, nombreux sont les moyens déployés pour le rendre attractif. C’est un domaine où la vitesse reste humaine et une très belle manière de découvrir le territoire. Donc oui le vélo est un enjeu pour qui entend, comme c’est notre cas, valoriser la montagne en été.
- Est-il envisageable d’arriver un jour à décliner l’itinérance vélo sur quatre saisons ?
Aujourd’hui, je vous répondrai non. Le vélo est intrinsèquement lié à la période estivale, même si, en définitive, il s’agirait plutôt d’une saison élargie qui commence au printemps et se termine en automne. Ceci posé, l’arrivée des fatbikes et de leurs larges pneus offrant équilibre et bonne tenue sur neige, pourrait à terme changer la donne. Nous avons pu l’observer en décembre dernier dans le Vercors où, en raison d’une neige tardive, ce nouveau modèle a permis une première approche du vélo sur des terrains de moyenne montagne peu enneigés.
- Depuis la loi Montagne de 1985, la France se décompose en six massifs, dont les Alpes. Existe-t-il un public montagne ou des publics montagne ?
Des publics montagne. C’est particulièrement vrai dans les Alpes où il y a un public pour l’hiver et un public pour l’été. Une part importante de notre travail aujourd’hui consiste à faire revenir en été le public de l’hiver. En réalité, chaque massif véhicule sa propre image d’Épinal. Les Pyrénées sont réputées plus sauvages que les Alpes, le Massif central se rapproche des Vosges, plus accessible à une clientèle moins sportive… La diversité des massifs est avant tout une chance pour la destina-tion France. Il y a des clientèles car il y a des montagnes.
- Y compris vu de l’étranger ?
Cela s’illustre effectivement avec l’effet de proximité. 15 % de notre clientèle vient de l’étranger, c’est peu. Les Allemands ou les Italiens aiment la montagne et y consacrent une partie de leurs vacances, mais pas nécessairement dans les Alpes françaises. Ils privilégient la montagne de proximité et, selon eux, avec souvent un meilleur rapport qualité-prix. Pour être attractifs, il faut des éléments différenciateurs. Nous avons une obligation d’excellence. Nous travaillons donc sur cette clientèle que nous qualifions de “non fréquentante, mais non récalcitrante”. C’est une clientèle en attente d’un déclic.
- Est-ce la montagne qui est une chance pour l’itinérance ou l’itinérance qui est une chance pour la montagne ?
C’est l’itinérance qui est une chance pour la montagne, même si l’inverse peut parfois être vrai également ! L’itinérance est une expérience unique, une aventure renouvelée chaque jour, un travelling de paysages qui changent quotidiennement. D’un point de vue économique et territorial, elle permet de structurer les offres touristiques et de mailler le territoire par la création des étapes, la qualification des services, la professionnalisation des acteurs autour de la notion de référentiel qualité, etc. C’est un domaine qui professionnalise l’ensemble de la chaîne de valeurs et qui donne de la visibilité à l’offre.
- Et qui a un impact positif sur l’économie ?
Tout à fait. Un client itinérant dépense 15 à 20 % de plus qu’un client en séjour. C’est une donnée importante en temps de crise. Le budget d’un client itinérant est un budget plus évolutif que celui d’un client en séjour, qui prévoit un budget repas et hébergement et s’y tient. Un itinérant ne cale pas tout à l’avance. Il est enclin à davantage de convivialité et de partage, avec ses compagnons de route ou ceux qu’il aura rencontrés au fil de son aventure. Les études montrent qu’il est aussi attaché à la récompense de l’effort, de l’aventure, de l’émotion. La pratique itinérante est valorisante. Et puis il ne faut pas perdre de vue qu’il coûte moins cher de réserver six nuitées dans un même lieu que six nuitées successives dans six lieux différents !
- Avec tous ces chantiers de réflexion, trouvez-vous vous-même le temps de faire du
vélo ?
Je pratique l’itinérance de longue date, à pied et à vélo. J’aime voyager et partir à la rencontre des gens, me laisser surprendre par l’inattendu. L’été 2014 j’ai traversé la montagne islandaise en autonomie complète, sous tente. L’Islande étant le plus grand désert européen, nous avions prévu 20 kilos de sachets lyophilisés pour deux et des pastilles pour purifier l’eau. Mais l’aventure c’est aussi à côté de chez soi, dans le massif des Bauges ou de la Chartreuse, un week-end en bivouac. Et d’une façon générale, à la Grande Traversée des Alpes, les salariés sont certes experts de l’itinérance, mais surtout militants de cette forme unique de voyage et de découverte des territoires. C’est dans notre ADN.
Pour en savoir plus : www.grande-traversee-alpes.com
Anthony Diao