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L’indemnité kilométrique vélo – L’euro de secours

Près d’un an après sa mise en place à titre expérimental, quel bilan tirer de la mesure phare du Plan  d’action pour les mobilités actives ? Le point avec Sotranasa, l’une des 18 entreprises volontaires pour expérimenter l’opération “indemnité kilométrique vélo”.

Le 2 juin 2014, le ministère des Transports a annoncé le lancement, à titre expérimental, d’une indemnité kilométrique vélo (IKV). Selon cette mesure issue du Plan d’action pour les mobilités actives [1], un salarié qui effectuerait à vélo le trajet entre son domicile et son lieu de travail toucherait 0,25 € par kilomètre parcouru. Quel en sera l’impact en termes de part modale ? Sur la santé des salariés ? Pour se donner le temps de se faire une idée, la Coordination interminis-térielle pour le développement de l’usage du vélo (CIDUV ) s’est associée à l’Agence pour le déve-loppement et la maîtrise de l’énergie (ADEME). Les deux organismes se sont appuyés sur les quel-que 10 000 salariés [2] issus de 18 entreprises volontaires auprès desquelles l’IKV a été expéri-mentée pendant un semestre. L’entreprise languedocienne Sotranasa, dont une partie des locaux se situe dans une zone d’aménagement concerté à 3 km du centre-ville de Perpignan, a été  la première à démarrer l’expérimentation et dernière à la terminer – du 2 mai au 31 décembre 2014, les 17 autres démarrant le 2 juin et terminant le 30 novembre.

Éclaireurs. Branche de Sotragroupe spécialisée dans les réseaux Telecom, l’eau et le génie civil, Sotranasa compte 243 salariés au lancement de l’expérimentation. En ce printemps 2014, seuls deux d’entre eux effectuent à vélo, quotidiennement ou presque, le trajet domicile-travail sur les sites de Perpignan et Margalas. Matthieu Faye est l’un de ces éclaireurs. Militant dans l’âme, il expose très tôt le projet à sa direction, qui valide avec enthousiasme. « Avec l’effet d’annonce de l’indemnité, notre local à vélo et l’existence de douches pour nos employés du génie civil, j’espérais au mieux un doublement de ce chiffre », resitue cet assistant Qualité-Sécurité-Environ-nement, en charge du Plan de déplacement entreprise et référent sur l’IKV. Ses attentes seront largement dépassées. À l’arrivée, ce seront au total 13 salariés qui auront accepté de troquer le volant et l’embrayage pour un guidon et un dérailleur, certains le temps d’un aller-retour, d’autres plus durablement. Un taux final de 5,3 % de part modale, avec un pic à 9 utilisateurs uniques comptés sur le seul mois de juin. « Nous avons pourtant dû composer avec plusieurs facteurs limitants, évacue d’emblée le technicien. D’abord, l’image sociale du cycliste reste encore négative dans le Sud, et à tout le moins sujette à moqueries. Ensuite, les hivers sont particulièrement ven-teux par chez nous, ce qui crée un sentiment de vulnérabilité sur les boulevards notamment. Enfin, les stationnements ne sont pas encore suffisamment sécurisés en centre-ville et dans les immeu-bles d’habitation, puisque deux vélos ont par exemple été volés lors de la première semaine de l’expérimentation. »

Satisfecit. Ces bémols posés, le satisfecit reste de mise. Basées sur le recoupage des fiches de pointage remplies mensuellement (et sur l’honneur) par les volontaires, les statistiques recensées
à un mois du terme de l’expérimentation ont été présentées à la Communauté d’agglomération de Perpignan. Entre le 2 mai et le 30 novembre 2014, 828 trajets ont été effectués. L’ensemble repré-sente une distance cumulée de 3 036 km, soit une moyenne de 3,6 km par trajet. 45 % des volon-taires ont entre 18 et 35 ans, 55 % sont des hommes et 73 % résident à moins de 4 km de leur lieu de travail. Matthieu Faye, encore : « Cette expérience a contribué à créer du lien entre nous. Nous avons constaté une baisse du taux d’occupation du parking de l’entreprise, et une amélio-ration de la productivité due à la fraîcheur mentale et physique que procure cet exercice physi-que matinal. »

Prime. À ces vertus connues des lecteurs de Vélo & Territoires s’ajoute donc un paramètre nou-veau, ce nerf de la guerre que constitue la prime allouée. Plafonnée à deux exceptions près à hauteur de 55 euros par mois, elle représente pour l’employeur environ 43 centimes, charges incluses, pour chaque kilomètre parcouru par l’un de ses salariés. L’ensemble est tour à tour perçu comme un poste de dépense non négligeable ou un beau support de communication externe autant qu’interne, selon que le verre sera regardé à moitié vide ou à moitié plein. Son verse-ment mensuel est non cumulable avec le remboursement par l’employeur des transports en commun – au rang desquels figurent les vélos en libre-service. « Il n’y a clairement pas photo avec notre Plan de déplacement entreprise », poursuit Matthieu Faye. Adopté en 2009, abandonné l’année suivante faute de communication en interne et repris timidement en 2013, le score est sans appel : PDE : 0, IKV : 1.

Au plan national. Au plan national, plusieurs chiffres ressortent. 4,6 % des salariés des entreprises volontaires ont perçu au moins une mensualité d’IKV au cours des six mois d’expérimentation –
« c’est un chiffre énorme [car] seuls 2 % des trajets se font sur une selle dans l’Hexagone », a aussitôt salué sur son blog L’interconnexion n’est plus assurée le journaliste du Monde Olivier Razemon [cf. V&T n°37]. Par ailleurs, le nombre d’usagers du vélo a été multiplié par deux et la part modale a augmenté de 50 % à 70 %. Dans le même temps, le nombre d’adhérents en situation de carence d’activité physique a été divisé par deux. « Compte tenu des contraintes liées aux cotisa-tions patronales et salariales qui fluctuaient d’un mois à l’autre et alourdissaient donc d’autant le processus, ce sont des résultats plutôt satisfaisants », souligne Matthieu Chassignet du
service Transports et Mobilité de l’ADEME. Trois points empêchent toutefois de céder au triom-phalisme : le taux bien moins important qu’escompté d’autosolistes parmi les adhérents à la mesure (5 %) ; la concurrence, désavantageuse pour l’IKV, avec le système de remboursement des abonnements de transports en commun ; et le coût et la lourdeur administrative que représente cette mise en place pour l’employeur… La suite ? « L’IKV s’inscrit dans le cadre de la Loi sur la Transition énergétique. Son montant sera fixé par décret et le texte doit repasser courant 2015 devant l’Assemblée nationale. La balle est donc dans le camp du gouvernement et des parlemen-taires », analyse celui qui a co-coordonné, avec Pierre Toulouse, le rapport d’évaluation
sur l’expérimentation publié en janvier 2015. Parmi les leviers envisagés pour venir à bout des ultimes réticences concernant la mise en place durable de cette indemnité, notamment au niveau de l’Administration : accorder aux entreprises la possibilité de fixer elles-mêmes le plafond de l’IKV, lisser cette dernière sur plusieurs mois, voire la forfaitiser… et poursuivre plus que jamais la politique d’aménagements cyclables.

Belgique. Du côté de Sotranasa, l’IKV a d’ores et déjà été reconduite jusqu’au 31 décembre 2015. En attendant de savoir ce qu’il adviendra de la mesure, Matthieu Faye reste proactif sur le sujet. Fréquemment appelé à se rendre en Belgique, le Monsieur Vélo de l’entreprise languedocienne estime qu’il serait « à terme pertinent de s’inspirer de ce que font nos voisins, notamment avec leur logiciel Open source Santorin, ou en matière de formation des conseillers en mobilité. Je suis en effet persuadé qu’il est indispensable de proposer une formation de qualité aux chargés de PDE, en plus de l’IKV, pour permettre de développer les déplacements domicile-travail à vélo. »

[1] Lire sur ce point notre entretien avec Dominique Lebrun, coordinateur interministériel pour le développement de l’usage du vélo, en pages 16 et 17 du présent numéro.
[2] Quatre entreprises n’ayant pu répondre aux deux enquêtes, l’échantillon final portera finalement sur 8 210 salariés issus de 14 entreprises.

Principaux résultats de l’expérimentation IKV nationale

• 380 salariés sur les 8 210 ayant pris part à l’enquête de suivi ont adhéré à l’IKV
• 54 % de nouveaux cyclistes sont issus des transports en commun
• 19 % de nouveaux cyclistes sont issus de la voiture particulière (5 % d’autosolistes, 95 % de covoiturage)
• 9 % de nouveaux cyclistes sont issus des deux-roues motorisés
• 40 % des nouveaux cyclistes sont des femmes
• 45 % des nouveaux cyclistes délaissent le vélo en fonction de la météo (35 % chez les anciens cyclistes)
• 13 % des nouveaux cyclistes délaissent le vélo lorsque le plafond mensuel de l’IKV est atteint
• 43 % des nouveaux cyclistes estiment que le vélo a un impact positif sur leur santé (13 % chez les anciens cyclistes)
• 83 % des salariés ont une activité physique suffisante après l’IKV (66 % avant)

Source : “Évaluation de la mise en oeuvre expérimentale de l’indemnité kilométrique pour les vélos”. ADEME, janvier 2015.

Anthony Diao

Vélo & Territoires, la revue