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Se déplacer dans les quartiers prioritaires : construire une mobilité inclusive et active, bonne pour la santé

Ce temps d’échange organisé par le Réseau vélo et marche, avec le soutien de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT). 

Le 26 juin 2025, plus de 120 participants étaient réunis pour un webinaire organisé par le Réseau vélo et marche, en partenariat avec l’ANCT et l’ANRU. L’objectif était d’explorer les synergies entre politiques de mobilités actives et santé publique dans les Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville (QPV), et partager des retours d’expériences des collectivités et leurs partenaires. Dans les QPV, les mobilités actives ne doivent plus être subies, mais devenir un véritable levier de santé publique, d’émancipation et de justice sociale. Dans cette dynamique, le Réseau s’engage depuis plusieurs années, pour développer les modes actifs dans ces quartiers, pour les habitants (Le guide « À pied et à vélo dans les quartiers prioritaires », 2023, CVTCM).  

Le webinaire a d’abord donné la parole à la Ville de Saint-Nazaire, représentée par Mathieu Failler, conseiller municipal délégué aux politiques de la ville et aux déplacements doux, qui a introduit la séance en soulignant le lien fort entre justice sociale, santé publique et mobilités actives dans les quartiers populaires. Il était accompagné de Léa Belloc, enseignante en activité physique adaptée et coordinatrice du LABSPORT, pour illustrer les actions concrètes menées localement en matière de sport-santé à destination des publics en situation de précarité. 

L’Eurométropole de Strasbourg a ensuite partagé son retour d’expérience à travers Cécile Le Quesne, responsable du Département Promotion et Développement des Services de Mobilités, et François Jouan, directeur de la Maison Sport Santé de Strasbourg. Tous deux ont détaillé une coopération étroite entre services mobilité et santé, avec des projets menés en « aller-vers » dans les quartiers prioritaires, combinant urbanisme favorable, programmes vélo et accompagnement individualisé. 

Plusieurs institutions ont complété ces retours de terrain en exposant les leviers d’action disponibles. Roberta Zanchi, médecin référente prévention maladies chroniques et sport santé à l’ARS Île-de-France, a présenté les politiques régionales en faveur de l’activité physique, notamment via les Maisons Sport Santé et les Contrats Locaux de Santé (CLS). L’ANRU était représentée par Alice Collet, responsable de projets « Cohésion sociale », et Véronique Tirant, responsable du pôle Aménagement-Habitat-Transition écologique. Elles ont souligné comment les enjeux de santé et de mobilité pouvaient être intégrés dans les projets de renouvellement urbain menés dans les QPV, notamment en Île-de-France. 

Enfin, Maryline Robalo, directrice de l’association CyclAvenir, a clôturé la séance en apportant un éclairage spécifique sur les liens entre mobilités actives, santé mentale et émancipation des femmes vivant en quartiers populaires, à travers le programme « En S’Elles ». 

Ce temps d’échange était co-organisé par le Réseau vélo et marche, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), l’ANRU et l’ARS Île-de-France. 

Un contexte territorial marqué par une double peine : mobilité subie et santé dégradée 


Les QPV concentrent des inégalités sociales, territoriales et sanitaires. Alors que l’on présente souvent la marche ou le vélo comme des choix de santé, ils sont parfois vécus comme des obligations par défaut dans ces territoires.
 

Quelques chiffres clés : 

  • 45,7 % des déplacements dans les QPV se font à pied (vs 22 % ailleurs). 
  • 1,9 % de part modale pour le vélo (vs 2,8 % hors QPV). 
  • 90 % des QPV présentent des coupures urbaines. 
  • 40 % des habitants ont déjà renoncé à des soins pour des raisons financières. 
  • Seuls 50 % vivent à moins de 500 m d’un espace vert. 

Comme l’a rappelé Mathieu Failler, élu à Saint-Nazaire et administrateur du Réseau vélo et marche : « On ne peut pas parler de santé publique sans parler de mobilité, et on ne peut pas penser les mobilités sans penser aux inégalités territoriales. » 

Les déterminants de santé sont à 80 % non médicaux. L’environnement urbain, la mobilité, la sédentarité et l’accès aux soins jouent un rôle décisif. L’enquête TerraM (2024) révèle que : 

  • 41 % des personnes souffrant de dépression lient leur mal-être à des difficultés de transport. 
  • 76 % des usagers combinant marche/vélo et transports en commun disent ressentir une amélioration de leur bien-être. 

Cette approche a été développée par Mathieu Failler, soulignant que la charge mentale, la fatigue chronique et l’anxiété générée par la dépendance à la voiture sont amplifiées pour les personnes en situation de précarité économique, souvent contraintes de choisir entre un déplacement et un repas, entre accompagner un proche ou se rendre à un rendez-vous médical. Réduire cette dépendance, c’est donc favoriser une meilleure santé mentale, une autonomie accrue, et redonner des marges de manœuvre dans les parcours de vie. 

L’expérience du terrain : la Maison Sport Santé « LabSport » à Saint-Nazaire 


À
Saint-Nazaire, la Maison Sport Santé LabSport porte une démarche intégrée mobilisant les leviers de la santé, du lien social et de la mobilité du quotidien. Présentée par Mathieu Failler, élu en charge de la politique de la ville et des déplacements doux, et Léa Belloc, enseignante en activité physique adaptée et coordinatrice de LabSport, cette expérience de terrain repose sur une connaissance fine des publics et une action de proximité menée directement dans les quartiers. 

Deux programmes phares illustrent cette approche : 

Le programme Activité Physique des Femmes, mis en place dans un quartier prioritaire, s’adresse à un public souvent invisible : des femmes seniors, parfois isolées, peu mobiles, et peu engagées dans une pratique sportive. Il propose une séance hebdomadaire au cœur du quartier, combinant activité physique douce, bilan de santé, tests de condition physique et temps d’échange collectif. L’objectif est triple : réappropriation de l’espace public, renforcement du lien social et amélioration du bien-être global. Ce dispositif permet aussi de lever des freins culturels, psychologiques ou logistiques à la mobilité active. 

Le programme Tremplin, de son côté, s’adresse à des personnes atteintes de pathologies chroniques, de sédentarité importante ou en situation de handicap. Il est accessible sur prescription médicale, et propose 10 semaines d’accompagnement structuré, avec deux séances hebdomadaires (dont une en extérieur). Les résultats sont significatifs : un tiers des participants poursuivent une activité physique en autonomie, un tiers rejoignent une association locale, et un tiers abandonnent, souvent pour des raisons de santé ou d’instabilité sociale. 

Ces initiatives démontrent qu’une offre de mobilité active adaptée, encadrée et localisée peut devenir un levier d’accès à la santé, à l’autonomie et à la confiance en soi, notamment pour des publics éloignés des structures sportives classiques. Elles montrent aussi la force d’un ancrage local, au croisement de la prévention santé, de l’action sociale et de la politique de la ville. 

Lien vers le site du LabSport : https://www.labsport.org/  

© LabSport

Le rôle des ARS, l’ANRU et la coordination territoriale pour la santé 


Roberta Zanchi, médecin à l’ARS Île-de-France, a présenté les leviers disponibles auxquels l’agence régionale participe activement :
 

  • 88 Maisons Sport-Santé soutenue dans la région dont 50 dans les QPV. 
  • Intégration de l’activité physique dans le Projet Régional de Santé. 
  • Développement de l’urbanisme favorable à la santé : trottoirs larges, continuités piétonnes, accès aux espaces verts etc. 

Un partenariat étroit entre l’ARS Île-de-France et l’ANRU permet de mieux articuler les enjeux de santé et de renouvellement urbain. En témoignent les opérations menées à Garges-lès-Gonesse, où le Plan Local d’Urbanisme (PLU) intègre désormais des orientations d’aménagement favorables à la santé, issues d’un diagnostic territorial co-construit entre acteurs locaux de la santé, de l’aménagement et de la cohésion sociale. 

Cette collaboration ouvre la voie à une planification urbaine qui répond aux enjeux de sédentarité, de coupures urbaines, d’inégalités environnementales et d’accès aux soins dans les QPV.  

Le webinaire a permis de mettre en lumière le rôle structurant des agences régionales de santé (ARS) et de l’ANRU dans l’activation de leviers territoriaux pour favoriser les mobilités actives et lutter contre les inégalités de santé dans les quartiers prioritaires. 

Roberta Zanchi, médecin référente à l’ARS Île-de-France, a présenté l’implication concrète de l’agence dans la structuration d’une offre de santé territorialisée, avec 88 Maisons Sport Santé soutenues en Île-de-France, dont 50 implantées ou intervenant directement en QPV. L’activité physique adaptée est inscrite comme levier à part entière dans le Projet Régional de Santé (PRS), en lien avec les enjeux de prévention, de santé mentale et de lutte contre la sédentarité. 

L’ARS œuvre également au développement d’un urbanisme favorable à la santé, via son action dans les contrats locaux de santé et les projets de territoire. Cela passe par la promotion de trottoirs larges, de continuités piétonnes, de stationnements vélos, d’un meilleur accès aux espaces verts, et plus globalement d’un cadre de vie propice à l’activité physique au quotidien. 

En parallèle, Alice Collet et Véronique Tirant, responsables à l’ANRU, ont souligné l’importance du partenariat engagé avec l’ARS Île-de-France. Ce travail commun entre santé et renouvellement urbain se concrétise à travers des diagnostics partagés, des outils communs et des expérimentations sur plusieurs sites. À Garges-lès-Gonesse, par exemple, le Plan Local d’Urbanisme (PLU) intègre désormais des Orientations d’Aménagement et de Programmation (OAP) favorables à la santé, issues d’un diagnostic co-construit entre professionnels de santé publique, urbanistes, acteurs sociaux et habitants. 

Cette coopération territoriale santé-urbanisme ouvre la voie à une planification urbaine sensible aux enjeux de santé publique : réduction des coupures urbaines, lutte contre la sédentarité, amélioration de l’accès aux soins et réduction des inégalités environnementales dans les QPV. 

Mobilité et santé : une coopération structurante à Strasbourg 


La
Ville et l’Eurométropole de Strasbourg illustrent une politique ambitieuse et transversale articulant mobilités actives et santé publique. Cécile Le Quesne, responsable du développement des mobilités actives, et François Jouan, directeur de la Maison Sport Santé de Strasbourg, ont présenté une stratégie commune qui repose sur une coopération structurée entre services mobilité, santé, sport et action sociale. 

Parmi les piliers de cette stratégie, figure d’abord le croisement des données santé et mobilité, via l’outil SANUM développé avec le Cerema. Il permet d’identifier les quartiers cumulant mal-être psychologique, précarité et faible accessibilité aux services, afin de cibler les actions de manière fine et pertinente. 

L’agglomération s’appuie également sur des aménagements cyclables structurants : plus de 700 km d’infrastructures, un plan vélo métropolitain doté de 100 millions d’euros, un plan piéton spécifique pour la Ville de Strasbourg et un cœur d’agglomération largement piétonnisé. 

Mais c’est surtout par ses dispositifs d’accompagnement de terrain que la stratégie strasbourgeoise se distingue. À travers le programme « Mobilité et santé », la Maison Sport Santé déploie dans les quartiers prioritaires une approche d’aller-vers, en lien avec les médecins, les travailleurs sociaux et les habitants. Une action emblématique est celle du porte-à-porte : des éducateurs sport-santé sillonnent les QPV pour rencontrer directement les habitants, comprendre leurs freins à la mobilité, leur proposer des bilans de santé, des conseils personnalisés et des parcours d’activité physique adaptés. Cette démarche vise à retisser la confiance et à rendre accessible la pratique d’une mobilité quotidienne bénéfique pour la santé physique et mentale. 

Ce dispositif est complété par des vélo-écoles, des stages d’apprentissage et des accompagnements individualisés, parfois prescrits dans le cadre du sport sur ordonnance. Une tarification solidaire des transports en commun renforce également l’autonomie et l’accès aux soins. 

Cette approche croisée permet d’ancrer durablement les mobilités actives dans les parcours de soin, de prévention et d’émancipation, en réponse aux fortes inégalités sociales et territoriales de santé qui touchent les habitants des quartiers populaires. 

Se déplacer pour s’émanciper : l’initiative CyclAvenir 


Des contraintes de mobilité spécifiques aux femmes et les leviers développés par CyclAvenir

Au‑delà des freins déjà évoqués, les femmes rencontrent dans les quartiers prioritaires des contraintes particulières en matière de mobilité : trajets fragmentés liés à la charge familiale et domestique, déplacements limités par l’absence de stationnement sécurisé, sentiment d’insécurité plus marqué lors des trajets nocturnes ou sur des itinéraires perçus comme dangereux, et coût élevé des équipements adaptés (vélos cargos, sièges enfants, accessoires de sécurité). Ces freins, souvent invisibilisés, s’ajoutent aux barrières économiques et sociales déjà fortes dans ces territoires.

Face à ces réalités, l’association CyclAvenir agit concrètement pour lever ces obstacles, à travers son programme « En S’Elle.s ! ». Ce dispositif accompagne des femmes des quartiers populaires vers une pratique régulière du vélo, en intégrant leurs besoins et contraintes :

  • Un accompagnement long et régulier : 7 mois de suivi, 22 séances de 3 heures pour progresser en confiance et pérenniser la pratique.
  • Des conditions favorables : garde d’enfants assurée pendant les sessions, non‑mixité choisie pour certaines séances, constitution de promotions pour favoriser l’entraide et le lien social.
  • Des outils pour l’autonomie : apprentissage et perfectionnement technique, pratique du vélo en ville, ateliers mécaniques, vente solidaire de matériel.
  • Une approche inclusive et culturelle : sorties collectives, valorisation de l’espace public, implication d’anciennes participantes comme ambassadrices et modèles de réussite.

Depuis 2021, plus de 500 femmes ont été formées grâce à ce programme. Les impacts sont mesurables :
60 % déclarent se sentir en meilleure forme, 47 % utilisent désormais le vélo au quotidien, 79 % évoquent le plaisir retrouvé de pédaler entre amis ou en famille.

CyclAvenir illustre ainsi qu’en croisant les diagnostics santé et mobilité, en formant les intervenants aux enjeux de genre et en incluant les habitantes dans les projets, on peut transformer durablement les pratiques et renforcer l’égalité d’accès à la mobilité active. Dans les QPV comme ailleurs, penser la mobilité des femmes, c’est offrir de nouvelles trajectoires d’émancipation et de santé publique.

Décloisonner pour agir 


Ce webinaire a confirmé l’urgence de penser la mobilité active comme une politique de santé publique, d’égalité territoriale et de justice sociale. Pour Mathieu Failler, cette articulation ne peut se faire sans décloisonner les politiques publiques, former les agents à ces enjeux, et intégrer les habitants à chaque étape :
 

« Changer les trajectoires de mobilité, c’est changer les trajectoires de vie. Pour cela, il faut outiller les collectivités, renforcer les coopérations locales et donner plus de pouvoir d’agir aux personnes. » 

Il a également insisté sur l’importance d’aller chercher les publics invisibilisés, de s’appuyer sur les initiatives locales, et de faire de la mobilité active une politique de droit commun dans les QPV. Une dynamique qui exige d’associer santé, aménagement, éducation, sport et inclusion sociale dans une approche systémique. Cela suppose de : Penser les politiques publiques de façon transversale, en valorisant l’espace public comme espace de soin et Comme le rappelle le Conseil national des villes : « Changer la mobilité, c’est changer la santé, le quotidien, l’accès aux droits. » 

Visionner le replay

La présentation projetée lors de cette rencontre est disponible et téléchargeable sur ce lien :

À noter : une prochaine journée d’étude est prévue à Arras le mardi 23 septembre, en partenariat avec le CREM et l’IREV

Thibault Hardy – thibault.hardy@reseau-velo-marche.org

 

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