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Pour une cohabitation apaisée, contre les violences routières : retour sur le rapport Barbe lors de la Journée Nationale du Réseau vélo et marche

Le 29 avril dernier, le Réseau vélo et marche organisait une Journée nationale sur le sujet très actuel de la cohabitation dans l’espace public et les violences routières. Les 190 participants issus de 65 collectivités et de tout l’écosystème vélo-marche national ont eu la primeur de la présentation par Emmanuel Barbe des conclusions de son rapport «Prévenir les violences et apaiser les tensions pour mieux partager la voie publique» établi suite au meurtre de Paul Varry en octobre 2024, auquel le haut fonctionnaire a rendu hommage. Un document porté «avec conviction » que l’inspecteur général de l’Administration et ancien délégué interministériel à la Sécurité routière, souhaite « vecteur de changement». Retour sur une journée riche d’échanges et de débats.

Un rapport indépendant et constructif 

Ce rapport, rédigé de manière indépendante dans une volonté d’objectivité, s’appuie sur des auditions d’élus, d’administrations et d’acteurs du vélo et de la marche. Emmanuel Barbe a longuement insisté sur la rigueur méthodologique : neutralité, vérification des faits, et écoute attentive (et bienveillante, comme l’ont souligné nos coprésidentes) de tous les acteurs. Aucune interférence politique n’a entaché la rédaction, assure l’auteur. 

Quelques éléments essentiels partagés par Emmanuel Barbe sur le travail réalisé : 

  • L’organisation d’un atelier participatif avec 40 cyclistes, qui a vraiment enrichi la réflexion.
  • L’équipe de rédaction a réalisé plusieurs trajets à vélo pour sentir l’insécurité et les violences qu’il pourrait y avoir.
  • Une étude de parangonnage, en annexe, met en lumière les différences culturelles de la pratique cyclable, notamment à Ferrare où le vélo est central même pour les plus âgés.
  • Des préconisations concrètes comme l’apprentissage de l’ouverture à la hollandaise au permis de conduire, ou la proposition de renommer le Code de la route en Code de la voie publique.
  • Un filtrage rigoureux des 200 propositions initiales selon 4 critères : le lien direct et réel avec le sujet, l’acceptabilité sociale, la proportionnalité (critère juridique : ne pas proposer de mesure ayant des effets disproportionnés pour l’administration), et le coût. 

Emmanuel Barbe rappelle que le sujet du partage de la voie publique est encore difficile à appréhender, faute d’outils d’observation adaptés. Il plaide pour une meilleure reconnaissance des efforts consentis par les collectivités territoriales et appelle à sortir des postures clivantes. Son message final est de ne pas essentialiser, ne pas accuser, mais favoriser l’écoute, la responsabilité partagée et l’apaisement. 

Se sont ensuite déroulées quatre tables rondes sur la matinée. 

Violences motorisées : des situations à objectiver  

La première consistait à objectiver les violences dans l’espace public. La première étape est de sortir du déni. Comme le rappelle Céline Scornavacca, coprésidente de la FUB, la « violence motorisée » est une réalité quotidienne : agressions verbales, frôlements délibérés, voire violences physiques. Et dans 9 cas sur 10, les agresseurs sont des hommes. Marie Prémartin, vice-présidente de Rue de l’Avenir, complète avec des chiffres marquants : en 2024, 451 piétons ont été tués, principalement en agglomération. Des violences omniprésentes et parfois invisibilisées, qui alimentent un sentiment d’insécurité, notamment pour les publics les plus vulnérables.  

Certains outils existent pour objectiver cette réalité, et notamment l’accidentologie via les fichiers des préfectures, des services de secours (SDIS) et de l’ONISR ou les résultats du Baromètre de la FUB. Mais comme pour Nicolas Mercat, maire du Bourget-du-Lac, les données officielles sous-estiment largement la réalité. Des rapprochements avec les SDIS révèlent jusqu’à 15 fois plus d’événements recensés, mais ils sont mal formatés pour l’analyse. Derrière les chiffres, un enjeu politique majeur, comme l’a résumé Aude Raynaud, en thèse CIFRE au Réseau vélo et marche et au Laboratoire Aménagement Économie Transports (LAET), en évoquant la thèse de Karl Polanyi appliquée à la mobilité : « La mobilité est encastrée dans le social ». Comprendre les conflits d’usage, c’est aussi reconnaître les rapports de domination à l’œuvre dans un espace public disputé.

 

L’apaisement, une politique simple et efficace

La deuxième table ronde tentait d’identifier les ingrédients clés pour apaiser les conflits. Marie Huyghe, animatrice de la journée, l’a rappelé : au cœur de la violence routière, il y a la vitesse. Abaisser les vitesses, c’est réduire les risques d’accident, mais aussi la gravité des conflits. Pour Aude Raynaud, la course à la vitesse n’est pas une fatalité, mais une construction culturelle. Inverser cette logique, c’est retrouver du sens dans le « temps de déplacement », le vivre autrement que comme une perte de temps.  

Plusieurs collectivités du Réseau montrent l’exemple. Les choix portés au Bourget-du-Lac avec la réduction des voies de desserte à 3 ou 4 mètres, la végétalisation et la généralisation des zones de rencontre ont été porteurs de résultats positifs : la vitesse moyenne est passée de 64 à 32 km/h. Olivier Prentout, adjoint à la Rochelle, témoigne que la voiture est désormais une « invitée» dans la ville, mais aussi la généralisation du 30 km/h et la multiplication des priorités à droite comme outils de ralentissement ont joué. Adjointe à Rennes, Valérie Faucheux relate les efforts de la ville sur les intersections, points névralgiques souvent négligés. La conviction est donc partagée : au-delà de l’aménagement, il faut ralentir les vitesses. 

 

Apprendre et se comprendre : agir sur les comportements de tous les usagers 

La troisième table ronde était dédiée aux comportements : comment faire changer les mentalités ? Faut-il être pédagogues ou répressifs ? Pour Laurence Wieser, adjointe à la Métropole du Grand Nancy, changer les comportements commence par une meilleure compréhension des enjeux. C’est la raison des formations menées auprès des policiers municipaux, les auto-écoles et les chauffeurs de bus sur la métropole. Ces derniers ont concrètement fait l’expérience des angles morts, de bus qui passent très proche de leur vélo, etc. Pour faire changer les comportements, il faut expérimenter. Françoise Lippini, présidente de l’association Un vélo, une vie en Corse, travaille avec des jeunes en mesure de réparation judiciaire en quartiers prioritaires de la ville. Après quelques jours de pratique du vélo, ces jeunes ne se contentent pas de « respecter les règles » mais adoptent un nouveau regard sur la ville. Pour Nicolas Mercat, la co-construction et la co-décision permettent d’impliquer réellement les citoyens dans les projets. Il cite même l’exemple d’un projet de « rue aux écoles » qui a été décidé après consultation dans la cour de l’école ! Attention cependant à ne pas s’emparer du seul prisme éducatif. Plusieurs interventions du public lors de cette table ronde ont souligné un manque criant de répression, champ sur lequel le rapport Barbe ne se penche pas suffisamment selon eux. Le meurtre de Paul Varry a cristallisé ce débat : qu’est-ce qui empêchera que cela se reproduise ? Faut-il confisquer le véhicule en cas de comportement dangereux ? Faciliter l’installation de radars à 30 km/h ? Pour Emmanuel Barbe, le droit pénal impose des limites. La sanction doit rester mesurée, fondée sur des faits et non sur la présomption ou prémonition de faits condamnables qui pourraient être commis. Il insiste également sur le prérequis d’acceptabilité sociale comme condition pour qu’une proposition soit faite et sa mise en œuvre réaliste, en évoquant les tensions qui demeurent dans la société française sur le sujet, en témoigne le mouvement des gilets jaunes.  

 

Communiquer, la dernière clé essentielle de la sécurité 

La communication était le thème de la dernière table ronde de la matinée. Valérie Faucheux reconnaît que le vélo est devenu un objet politique clivant. Les campagnes doivent donc montrer de l’empathie, donner des repères et rappeler les règles sans culpabilisation. Emmanuel Barbe rappelle que des supports nationaux existent (campagnes DSR), mais leur manque de flexibilité (logo officiel) limite leur diffusion. D’après ses échanges avec les collectivités, il aimerait que les campagnes puissent être adaptées localement. Enfin, un enjeu de fond reste la lisibilité de l’espace public : comprendre les règles, repérer les panneaux, reconnaître les zones 30, les double-sens cyclables… Marie Prémartin souligne à quel point même des professionnels ignorent certaines règles élémentaires. Elle propose des « flashs » d’information simples, réguliers, comme les spots de sécurité routière ou les consignes de tri. 

 

Du rapport à une politique nationale, le dernier pas  

Suite à la publication du rapport « Prévenir les violences et apaiser les tensions pour mieux partager la voie publique », Le Réseau vélo et marche appelle l’Etat et les ministères en lien selon les propositions, à se saisir du travail d’Emmanuel Barbe pour mettre en œuvre une politique nationale ambitieuse en faveur de l’apaisement de l’espace public, pour protéger les usagers les plus vulnérables dans l’espace public, et leur (ré)attribuer une place plus juste. Dans l’ensemble, les propositions faites par le Réseau vélo et marche trouvent une traduction au sein de ce rapport. Si aucune mesure ne pourra éviter les comportements criminels sur la route, certaines participeront à rendre la voirie et l’espace public plus sûrs et plus agréables. La « vision 0 » doit être le fil rouge de l’action publique sur ce sujet. 

Domitille Lécroart, Anne-Laure Tournier & Valentin Joubert 

 

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